posté le 20-01-2018 à 06:11:32
LA LAME SANS NOM
A première vue cette carte figure l'image traditionnelle de la mort, telle qu'on la représentait au Moyen Age sous la forme d'un squelette tenant une faucille ou, à partir du 15ième siècle, une faux. Elle évoque les champs de bataille, où les vaillants chevaliers à cheval, frappant de taille par un mouvement ample et circulaire semblable à celui du faucheur dans son champs, tranchaient les corps au niveau des poignets et du cou. Nous distinguons en effet deux têtes et deux mains. La mort avec sa faux fait sa sinistre moisson. Des feuilles coupées se mêlent aux morceaux de corps humains. Ce qui est mort n'existe plus. C'est pourquoi cette lame n'a pas de nom.
Dans le tarot ancien de Marseille : Tout d’abord, cette lame qui symbolise la mort ne porte pas de nom, l’intention est donc de suggérer que ce n’est qu’une apparence, pour correspondre à : mourir pour mieux renaître, encore une invitation au lâcher prise. C’est la première fois que le noir est utilisé aussi abondamment dans une lame, l’alchimie nous parle de l’œuvre au noir et de putréfaction.
La lame de la faux est rouge et fait penser à une grande flamme dynamique. Le mouvement est orienté à gauche, preuve de continuité, c’est une maturation qui se poursuit dans le temps. Le personnage représentant la mort se veut être un squelette, cependant, sa facture est étrange, il paraît être habillé tout en laissant percevoir la structure osseuse, elle-même originale, la colonne vertébrale rappelle plus des feuilles de lauriers qu’un empilement de vertèbres, le bassin est plus proche d’un drapé que de sa véritable structure, la tête elle-même est composée d’une sorte de croissant de lune, 4 dents apparaissent nettement marquées, la lune n’a-elle pas 4 phases ? Le nombre 4 est souligné , à plusieurs reprises dans cette lame. Les pièces détachées (main, pieds, os) qui jonchent le sol, évoquent le morcellement : désunir pour mieux réunir.
Dans le Tarot des Alchimistes : Cette carte peut s'apparenter à une mort initiatique. Le sacrifice de nos liens terrestres ou du moins leur remise en question ne se fait pas sans difficultés, c'est ce que représentent les dépouilles et le labyrinthe. Dans le vase double, le dragon mercurien s'abandonne à la putréfaction afin que les parties essentielles soient sublimées et donnent naissance à la fleur à cinq pétales, quintessence mercurielle de la matière.
Les oiseaux représentent le principe volatil qui se dégage de l'ombre et aspire à la lumière. La mort libère l'esprit de la pesanteur corporelle.
Au Laboratoire : L'arcane parle d'elle-même : c'est l'image de la putréfaction. Omniprésente dans les textes et dans les gravures alchimiques, on en trouve les meilleurs exemples chez Basile Valentin, dans la Clef 4 des Douze Clefs de Philosophie et dans l'emblème 9 de la Philosophia Reformata de Mylius. C'est donc la phase de dissolution de la matière, correspondant à l'œuvre au noir, d'où Marguerite Yourcenar a tiré le titre de son célèbre roman.
Cette dissolution survient au tout début du travail ; encore faut-il savoir de quelle dissolution nous parlons, puisque Le Breton, dans ses Clefs de la Philosophie Spagyrique (Paris, Jombert, 1772) enseigne qu'il n'y a pas moins de quatre putréfactions dans l'œuvre. En voici deux dont nous avons la quasi-certitude qu'elles correspondent effectivement à une dissolution, voire à une séparation : la préparation du Mercure, au 2ème œuvre, exige la présence d'un sel de potassium que l'on extrait d'une réaction du salpêtre vulgaire sur de l'acide vitriolique : le Caput tombe au fond de la cornue, sous forme plus ou moins dépurée d'Arcanum duplicatum ou de foie de soufre et dans le récipient, on voit apparaître des vapeurs d'aqua sicca (section du tartre vitriolé). Cette séparation n'est pas celle qui est d'habitude retenue chez les hermétistes ; la véritable dissolution est celle qui s'opère au début du 3ème œuvre, lorsque les substances mises en présence vont subir la Passion. Voilà pour la partie strictement technique.
L'hermétiste voit dans la lame 13 - autrement appelée le Faucheur - l'un des grands mystères, en ce sens, et là nous rejoignons la cabale bien pensée, que cette lame prend un caractère céleste plus développé que d'autres. Remarquez que le squelette a une couleur chair, manière de désigner le but de l'œuvre, qui est la réincrudation des Soufres. De même, les couleurs sont là pour nous rappeler le mode d'emploi de l'arcane : la faux a la couleur du sang, résultat inévitable de l'ouverture du métal qui laisse échapper son âme, selon la puissance calorique que l'on impose au creuset. Sous les pieds de la Mort, on voit les deux parties du Rebis, pour l'instant évidemment séparées : sous le pied, tête de femme ; à côté de la pointe de la lame, tête d'homme. C'est déjà là assigner les futurs domiciles des parties du prochain Rebis : la femme se placera en terre et formera le Corps de la Pierre ; l'homme conservera une ponticité particulière, restant infusé dans le Mercure avant que sonne l'heure de la réincrudation, qui s'opère dans le signe du Sagittaire, après l'accalmie de la période du Verseau.
Aussi bien faut-il voir dans cette lame, non pas le destin inéluctable qui nous attend tous, mais un renouvellement, une résurrection, comme en témoignent le processus, si particulier à l'alchimie, de la réincrudation.
Architecture cosmique et recherche Géométrique : Une des premières raisons de la relation entre le nombre treize et la mort est géométrique : elle fait référence en particulier à la géométrie du cercle et sa très universelle division en douze. Toutes ces divisions s'inscrivaient aussi bien dans les textes que dans l'architecture des temples et des cités.
La division en douze du cercle s'exécute tout naturellement sur la figure de cette lame, le centre se plaçant sous la main droite du squelette, la circonférence étant limité en haut par sa main gauche et en bas par l'arc de la lame de la faux. Nous remarquons que le diamètre passe par la base des doigts des deux mains, que l'angle de 60 degré apparaît nettement marqué d'un côté par le manche de la faux, de l'autre par la jambe gauche du squelette, et enfin son bras partage l'angle en deux.
De même, le chiffre de 4, le chiffre des Compagnons initiés, se trace tout naturellement sur le graphisme du squelette. Enfin, on pourrait placer le G de la Gnose sans effort sur le crâne du squelette.
Tarot, Alchimie et Franc-Maçonnerie nous indique que l'être a déjà remis en question son ego, par une sorte de sacrifice. Cette alchimisation permanente de l'inconscient-conscient remis en relation peut paraître comme le remède aux alternances mortifères entre pulsion de vie et de mort, qui s'affrontent.
La mort initiatique est un "lâcher prise" qui ne peut se produire sans l'acceptation, non seulement de la conscience, mais aussi sans l'agrément au moins partiel de l'inconscient, lequel sera concerné par la régénération qui doit s'ensuivre. Ceci implique une relation établie et acceptée entre différentes couches, connues ou inconnues, de l'être.
Dans la conception Jungien, l'anima et partagé entre le spiritus et le corps. Lorsque les trois s'accorderont et s'uniront ils formeront ce que Dorn appelle le mens. Le mens est la part d'esprit tourné vers le corps, la pensée, plutôt que vers l'être, mais il participe à la globalité et prend part au contrôle des pulsions régressives chez l'individu...
Jakin,
Commentaires
Bonsoir Armand,
je connais cette carte.
Article très intéressant.
Bonne nuit et bon dimanche.
Bise
Cricri