posté le 15-06-2019 à 06:29:46
LE MAT OU L'ADEPTE
Appelé le Fou ou le Mat, cet arcane représente l'irrationnel et le changement. Ne portant pas de numéro, donc sans repère, cette carte peut jouer le rôle du joker capable de s'adapter aux situations diverses ; ou bien, au contraire, elle représente un personnage en constant décalage par rapport à son environnement.
Le tarot se referme sur lui-même. Cette fermeture n'est cependant pas un blocage mais le point de jonction des anneaux qui, semble, constituent la circonférence ; elle symbolise la continuité et l'infini.
Ainsi chacun, en fonction de ses références personnelles, a tendance à rejeter comme anormale toute manière de penser dans laquelle il ne pénètre pas. Il en sera de même pour le personnage de cette carte si on le juge en fonction des critères admis par notre société. Pire qu'un marginal il sera qualifié de fou... Le ravi de la crèche, le bouffon du roi, l'idiot du village parle un langage particulier. Leur rapport à la réalité est différent, mais ils gagnent en lucidité ce qu'ils perdent en sociabilité.
Dans le Dodal primitif : C'est la figure du Fou de l'œuvre selon les préceptes de Fulcanelli ; le curieux animal qui le poursuit semble être un félin (un chat) ; curieusement, on peut rapprocher ce Mat de l'un des bas-reliefs de Notre-Dame de Paris : la lâcheté. C'est d'une fuite qu'il est question ici, c'est-à-dire d'une dissolution ou d'une volatilisation ; or, un mot suffit à lier ces deux opérations : la sublimation. C'est l'état du premier Mercure, tel qu'il est peint aussi dans les Ripley's scrowles.
Un Mercure agité, une sorte d'Ajax déchaîné ou d'Orlando furioso. C'est aussi le voyageur, celui qui part sur le chemin de saint Jacques de Compostelle, à la recherche de la fleur et de l'étoile. Le Mat se distingue des autres cartes du tarot en ce qu'il n'a pas de numéro ; ce qu'un hermétisme appellerait sans dimension ; c'est donc la carte zéro : 0 dans laquelle il n'est pas difficile de reconnaître le serpent Ouroboros de la grande tradition.
Voici ce que l'on peut lire sur le Mat : "Il marche, appuyé sur un bâton d'or, le chef orné d'un bonnet de même couleur, semblable à celui d'une marotte [...] C'est un fou, conclura l'observateur abrité derrière les créneaux de la cité. C'est un maître, murmurera le philosophe hermétique, remarquant que le bâton au bout duquel il porte un baluchon flasque, sur l'épaule, est blanc [...], et que ses pieds chaussés de rouge, prennent fermement appui sur un sol bien réel [...]. Sa besace est vide, mais elle est rose, comme sa cuisse et comme le chien qui tente de l'agripper [...] l'or de la connaissance et des vérités transcendantales est la couleur du bâton sur lequel il s'appuie [...] il avance".
De ces notes, il appert que les chaussures et le baluchon sont les parties les plus importantes du Mat : par leur couleur, rouge, les chaussures indiquent le lieu où l'on trouve le Soufre rouge ou teinture de la Pierre ; quant au baluchon, il est suspendu dans l'air ; c'est assez dire pourquoi sa couleur est blanche (cf. l'Air des Sages, Philalèthe). Le bâton, c'est le bourdon du pèlerin dont on a ailleurs vu qu'il se rapportait au moyen qui permet d'obtenir la fixation du Mercure. Quant à l'animal que l'on prenait pour un chat, il s'agit d'un chien [ce n'est pas évident sur la carte]. Le chien, le meilleur ami de l'homme sur cette terre, est aussi très important pour notre alchimiste, (cf. l'Atalanta XLVII).
Dans le Tarot ancien de Marseille : Un personnage original va de l’avant, la tête orientée légèrement vers le ciel, il ne se soucis pas de sa tenue, et n’a cure de l’animal qui s’accroche à ses basques, il se moque du qu’en dira-t-on, de ce qu’on pense de lui, il peut passer pour un illuminé, ce n’est pas, ce n’est plus son problème.
L’animal derrière lui peut également symboliser la peau de bête dont il a su se dépouiller en travaillant à la réalisation de l’art royal. Son bâton de marche est d’or, pour subvenir, un petit sac sur l’épaule, maintenu par un étrange outil qui se termine par une grosse cuillère (rappel du temps où il écumait la matière qu’il avait sur ses fourneaux et possibilité de s’en servir pour manipuler du plomb en fusion si cela s’avérait nécessaire). Les 6 étapes sont marquées sur son pourpoint (5 pompons visibles, un caché, mais correspondant au sac qu’il a sur l’épaule, le résultat de ses recherches s’y trouve).
La tête est couverte d’un étrange bonnet de couleur or, terminé par une boule rouge, rappel de la pierre convoitée, dont il a le processus de fabrication inscrit dans sa mémoire.
On ne sait pas grand chose du devenir des grands initiés, c’est peut être pour cela, si vous regardez bien dans le coin inférieur droit se trouve manifestement un indéniable point d’interrogation, ce qui n’est pas sans rappeler l’attache du médaillon de l’empereur et bien entendu le mystère lié à la table d’émeraude.
Nous restons bien dans l’atmosphère et l’ambiance que les initiés se sont ingénier à distiller tout au long de leurs communications. Aucun sot ne pourra utiliser bêtement les enseignements, révélés, ça et là dans leurs écrits, seul celui qui sera sincèrement dans leur démarche, pourra accéder à la voie royale et en comprendra le langage. Ce mystère restera donc entier, excepté pour celui qui aura su, compris et mené à bien le Magistère.
Dans le Tarot des Alchimistes : Cette lame représente la finalité, au-delà de la réussite de l'œuvre. L'Adepte est "celui qui a acquis". Comme le phénix il possède le pouvoir de sa constante auto-régénération. La pierre de projection peut-être multipliée à l'infini.
L'image de cette carte évoque un déplacement à travers le temps et l'espace signifié par la résolution de la quadrature du cercle. L'univers de l'Adepte englobe tous les points de vue possibles. Possédant la juste et parfaite Connaissance, définition même de la Sagesse, il est l'avers du fou que voient les ignorants.
L'idée maîtresse des philosophes hermétistes tient en ceci : l'univers entier, fécondé par l'Esprit, poursuit sa progression, générée, perpétuée et constamment renouvelée par son évolution même.
L'orque l'Esprit divin prend la forme de la Sophia - la Sagesse du Dieu d'Amour et de désir fou - et qu'il s'incarne en s'unissant à l'Energie, il se forme un noyau de "feu véritable" qui est la "Lumière de vie". C'est en ces termes qu'est exprimé le résultat de la démarche alchimique dans Le Secret de la fleur d'or (Lu Yen 9ième siècle en Chine)...
Cet état est la pénétration du ciel dans la terre, le moment où toutes les merveilles retournent à leurs racines. On ne change pas de lieu mais le lieu se multiplie. C'est l'espace incorporel, où mille lieux et dix mille lieux sont un seul. On ne change pas le temps, mais le temps se multiplie.
A ce niveau d'expérience, l'alchimiste, qui jusqu'alors poursuivait le but de projeter la matière, comprend et s'aperçoit que, au-delà de cette réalité, c'est l'Esprit, la part divine de son Etre, qui se trouve projeté.
Au laboratoire : Le Sage peut pratiquer la Projection... Après l'avoir appliquée pour lui-même, il a le pouvoir de transmuter hors de lui... Autour de lui les cerisiers fleurissent : "En faisant la part de l'exagération et les apports légendaires, il n'en reste pas moins vrai que le fruit hermétique porte en soi la plus haute récompense que Dieu par l'entremise de la nature, puisse accorder ici-bas aux hommes de bonne volonté" (Fulcanelli, Les Demeures philosophales).
Architecture et recherche Géométrique : Ce qui frappe dans le graphisme de cette lame est évidemment le fil placé dans la cuisse gauche, le mot "fil" étant par ailleurs suggéré par le jeu de mots existant entre les mots "fol" et "fil".
Le fou sur cette lame ne porte pas de marotte. Mais peut-être allons-nous la trouver d'une autre manière, sachant que la "marotte" peut désigner une marionnette et que les deux ternes dérivent d'une même étymologie, Marion, diminutif de Marie devenant une petite image de Marie.
La marotte à main prenante composée d'une tête plantée au bout d'un bâton comme le sceptre du bouffon surmonté d'une tête coiffée d'un bonnet muni de grelots. La marionnette à gaine : sous une tête en bois sont fixés les vêtements vides. Les manches, également en tissus, se terminent par des mains en bois comme la Tête. Pour actionner la marionnette, il suffit d'introduire la main dans ce sac de tissu qui représente le vêtement. On les actionne par en dessous. Si nous regardons à nouveau l'animal accroché à la cuisse du Fou, nous comprenons alors pourquoi l'arrière du corps est informe et mou. Il s'agit d'une marionnette à gaine.
La marionnette à fil est faite d'un tronc solide, auquel on relie, par articulations, une tête, des bras, des jambes, pourvus eux-mêmes d'articulations. C'est là que l'on commence à comprendre d'où vient le fil de la cuisse du Fol, fil qui, évidemment, a disparu après le Dodal. Il ne fait bien sûr que suggérer. Il est la clé d'interprétation au niveau des constructeurs : le Fol est une marionnette. Il s'avance, mû par un manipulateur.
La marionnette à tringle est manipulée en surplomb, mais cette fois au moyen d'une tige métallique, fixée avec un crochet au sommet de la tête. Le bâton sur l'épaule du Fol pourrait bien être une tringle. Notons que cette tringle marque un décrochement, placé sous la main repliée, et pouvant cacher une articulation. De même, la canne montre un net décrochement, caché dans la main droite.
Les techniques permettant de relier une marionnette à fil à son contrôle est secrète, car chaque marionnettiste possède ses secrets de fabrication et de savoir faire.
On peut voir la barre horizontale au bout de laquelle se trouve la besace comme une représentation simplifiée du contrôle, servant à mouvoir la marionnette et où s'accrochent les fils rejoignant les différentes parties de son corps. Elle semble par ailleurs soutenir la main gauche du personnage.
Nous pouvons le prolonger vers le haut : il rejoint alors le grelot situé à l'extrémité du bonnet et semble ainsi tirer et faire se mouvoir la patte droite du chien. Un second fil est suggéré dans la cuisse droite du Fol : prolongé vers le haut, il s'attache sur la tringle sur une autre vis à peine discernable. Prolongé vers le bas, il rejoint l'extrémité inférieure de la canne, sur laquelle le Fol semble s'appuyer pour marcher.
Un fil partant du grelot au sommet de la coiffe. Traçons-le parallèlement au fil de la cuisse gauche : il rejoint le talon du pied gauche, il peut le soulever. Un fil partant de l'ongle du pouce de la main gauche. Traçons-le parallèlement aux autres : il rejoint le pied droit et peut le soulever. Un fil partant de l'extrémité antérieure de la tringle. Le fil descend en passant par la main droite à l'avant du pied droit. Le fil ferait lever la jambe du Fol en même temps que sa canne.
La besace, mot qui dérive de bissac, double sac, désigne un sac que l'on porte sur l'épaule, une partie tombant par-devant et l'autre par-derrière. Portée par les paysans, mais surtout par les mendiants, la besace finit par symboliser un vagabond.
Toutefois nous sommes dans un chemin de constructeurs. La besace, n'en doutant, désigne également un terme d'architecture : "Besace, rencontre de deux pans de maçonnerie dont les éléments sont liés d'une assise sur l'autre. La pierre en besace est un élément d'une besace".
Des pierres, toujours des pierres. Et la besace d'angle est bien suggérée par les espèces de chevrons jaunes qui longent le crâne du Fol, ou encore par les deux pans de son bonnet.
Tarot, Alchimie et Franc-Maçonnerie : La liberté de penser va avec la liberté de passé. Le FM doit cesser d'être une marionnette mue par ses instincts. Mais il doit aussi savoir qu'il n'est pas le maître de lui-même, que c'est la Nature qui à travers lui agit. Le seul architecte est le Verbe.
Le FM voyage. A chaque passage important de son parcours maçonnique, on lui fait faire des voyages. Le voilà dans une matrice, le cabinet de réflexion. Il en sort par une porte très basse, on l'en tire et le voilà qui se retrouve sous la voûte céleste. On lui fait faire trois voyages, au cours desquels il rencontre l'Air, l'Eau et le Feu.
Puis il devient Compagnon. Tel les Compagnons opératifs, il parcours la Terre au cours de cinq voyages, pendant lesquels il engrange un maximum de connaissances. Au Rite de Memphis Misraïm on lui met un bissac sur l'épaule, un bâton dans la main et on lui fait quitter le temple en lui disant au revoir.
Devenu Maître, il voyage de l'Orient à l'Occident, de l'Occident à l'Orient et par toute la Terre, afin de chercher les secrets qui ont été perdus.
Devenant Maître Secret, il effectue quatre voyages en s'élevant au-dessus de la Terre. Il avance, encordé avec les autres. Ils cheminent en serpentant.
Accédant au grade de Royal Arche, il part de Babylone, où il était en exil, pour se rendre en pèlerinage aux ruines du Temple de Salomon. Là il découvre un puit, y descend. Il va alors effectuer son premier grand voyage mystique le long des séphiroth dans les palais souterrains construits par Hénoch bien avant le déluge. Arrivé dans le dernier palais, il y découvre la pierre cubique gravée par l'Eternel, préfiguration de la Jérusalem céleste.
Devenu Chevalier de l'Orient et de l'Epée, il refera le voyage de Zorobabel, quittant Babylone pour se rendre à Jérusalem. Non plus pour y aller en pèlerinage, mais dans le but de reconstruire les murailles de la ville, une épée dans une main et la truelle dans l'autre.
C'est au grade de Chevalier Rose+ que le voyage prend tout son sens hermétique. Avec le Fol, nous allons suivre le fil des lames de la descente du Verbe jusqu'à Malkhouth puis à la remontée jusqu'à la Jérusalem céleste de l'Homme uni au Verbe...
Jakin,