En préambule je tiens à vous rappeler que l'Initiation maçonnique est une école de méthodologie de pensées et non une école de pensées...
Dans la maçonnerie spéculative d'aujourd'hui, le secret maçonnique consiste d'abord en ce qu'un maçon est censé ne jamais dévoiler à de simples "profanes" l'identité de ses frères. Mais par-dessus tout, il existe en franc-maçonnerie un secret d'une autre nature, d'ordre doctrinal. Ce secret est révélé au cours d'une cérémonie d'initiation à un des hauts grades. Il porte sur la nature de Dieu et les rapports existants entre la divinité et l'homme. Ensuite, par un travail de méditation, l'initiation doit accéder à la compréhension intérieure de ce secret. Cette Connaissance, véritable révélation intérieure, illumine alors l'Initié.
Hors, force est de constater que la situation actuelle est très confuse car la plupart des prétendus détenteurs du 90e au 95e ignorent qu'il s'agit d'une classe occulte à contenu doctrinal et pratique, c'est-à-dire : L'Arcane du Grand Oeuvre sur une fondation Théurgique.
Il y a aussi une confusion très grande sur la notion d'Arcana Arcanarum. On confond les anciennes classes secrètes du Misraïm, régime de Naples, avec la restauration inaugurée au 20ième siècle et formalisée dans l'Ordre pythagoricien qui n'est qu'une parodie des rituels écossais.
Et pour ce qui doute encore que la FM n'est pas le véhicule de la Voie Royale, c'est-à-dire la pratique de l'Arcane par la voie extérieure et intérieure. Je prendrai pour exemple le sel qui est nommé par Thomas d'Aquin et Basile Valentin "le lait de vierge", et par Geber, Jean XXII et Paracelse "le sel des sages" pour désigner le carbonate de potasse, plus de 700 ans se sont écoulés...
Alors la question est posée : Est-ce que les Arcana-Arcanorum, Constituent réellement la finalité des Rites Egyptiens ?
Dans l'ouvrage fondamental "Pour la Rose Rouge et la Croix d'Or", écrit en 1988, Jean-Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie nous parle du contenu des Arcana-Arcanorum : "Cet enseignement concerne une théurgie, c'est-à-dire une mise en relation avec des éons-guides qui doivent prendre le relais pour faire comprendre un processus, mais aussi une voie alchimique très fermée qui est un Nei Tan , c'est-à-dire une voie interne." Les Arcana-Arcanorum, ou "mystères des mystères" constituent le corpus pratique et doctrinal de la maçonnerie égyptienne. Dans son livre "Secrets de la Franc-Maçonnerie Egyptienne" Denis Labouré explique : "Au cours de ses pérégrinations à travers l'Europe, Cagliostro réunit des enseignements alchimiques et théurgiques. Il ne parle pas d'arcana Arcanorum, mais de Secretum secretorum (le Secret des secrets). Dans ses deux quarantaines, il distingue clairement les deux volets (théurgique et alchimique) de sa pratique. Après Cagliostro, d'autres auteurs reprendront sa démarche, soit en s'inspirant directement de Cagliostro lui-même, soit en puisant à des sources identiques. Les lignées italiennes des rites maçonniques égyptiens en sont venues à nommer Arcana Arcanorum les documents et transmissions orales portant sur le premier volet : l'étape théurgique d'entrée en contact avec un ou plusieurs anges". Les Arcana-Arcanorum portent donc essentiellement sur la théurgie et l'alchimie. Cette alchimie est avant tout une alchimie interne ayant pour objectif de séparer les différents corps de l'adepte et de créer un corps de lumière ou "corps de gloire".
Cet enseignement est bien antérieur à la franc-maçonnerie et on en retrouve la trace notamment en Chine où un nombre important de textes très anciens traite de voies alchimiques poursuivant ce même objectif. L'alchimie chinoise fit cohabiter deux concepts : le concept exotérique (Wai Tan) où les substances étaient considérées comme bien réelles, et un concept ésotérique (Nei Tan) où l'on considérait l'âme de ces substances (leur essence). Ainsi, le cinabre peut tantôt apparaître comme une matière physique, tantôt comme un élément qui est à l'intérieur de l'homme. C'est donc quelque chose de très ancien. On pourrait ajouter que les Arcana Arcanorum ne semblent pas constituer des grades terminaux, mais au contraire une classe préparatoire à l'entrée dans d'autres Ordres, de nature non maçonnique.
En citant le Grand Maître Brunelli , Jean-Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie nous laisse entrevoir la suite : "Comme l'a indiqué le G.M. Brunelli dans ses remarquables ouvrages sur les rites de Misraïm et Memphis, d'autres ordres succèdent aux Arcana Arcanorum. Mais nous sortons ici de l'aspect maçonnique pour découvrir quatre ou cinq autres ordres (Grand Ordre Egyptien, Rites Egyptiens ainsi que trois autres que nous ne pouvons mentionner). En réalité, les Arcana Arcanorum en ligne continue historique se perpétuent dans le Grand Ordre Osirien Egyptien". Il semblerait qu'à l'origine, l'apparition du rite Egyptien soit une "couverture" pour quelque chose en réalité de bien plus ancien. Autrement dit, tout porte à penser qu'il y a un ordre secret, à la tête de la pyramide initiatique qui soit le détenteur de cet enseignement. Il y eut effectivement un Ordre Egyptien signalé au 18ième siècle. Cet ordre, mentionné par Gérard Galtier (Maçonnerie Egyptienne, Rose-Croix et Néo-Chevalerie p.95) dont même la police secrète autrichienne n'a pu découvrir l'identité, a pénétré plusieurs structures initiatiques et en a même créé. "Le document de la police secrète autrichienne mentionne l'existence en 1818 d'un Ordre Maçonnique dénommé Société Secrète Egyptienne et qui était particulièrement actif en Italie". On ne sait pas grand-chose de cet Ordre, si ce n'est que l'Ordre Osirien Egyptien auquel fut rattachée pendant un moment la fraternité de la Myriam de Guliano Kremmerz fut certainement l'une des dernières manifestations de cet Ordre. Nous touchons là un élément très important mais que ne savent pas la plupart des maçons des rites égyptiens.
HISTORIQUE DES ARCANA ARCANORUM
Nous allons voir que dans la franc-maçonnerie égyptienne, les filiations sont le plus souvent douteuses. Les chartres des transmissions administratives. Ce n'est que scissions, luttes d'influences, querelles entre dignitaires liées à leur ego. Toutes ces histoires de filiation, de transmission, de reprises en mains, constituent la preuve que nous ne sommes pas là en terrain initiatique mais dans le monde profane. Il s'agit pour certains de contrôler un système et d'en tirer certains profits personnels. Inintéressant et rien d'initiatique dans tout cela. En réalité, nous aurions tendance à considérer que la véritable filiation n'est pas horizontale mais verticale : "La chaîne initiatique est ininterrompue, non parce qu'elle survit formellement à travers un temps linéaire mais parce qu'elle demeure toujours essentiellement ici et maintenant, libre de tout temps" nous dit Rémi Boyer.
Le but de cette approche n'est pas de dénigrer telle ou telle filiation. Le seul intérêt que je voie dans l'histoire des Ordres Initiatiques, c'est que lorsqu on cherche quelque chose de précis (en l'occurrence les Arcana Arcanorum), en comprenant les origines, on peut savoir là où il y a des chances de le trouver ou pas.
Malheureusement, en entrant en maçonnerie égyptienne beaucoup n'ont pas la connaissance historique leur permettant de valider la légitimité de leur obédience d'accueil. Certains se laissent ainsi entraîner dans des déviances caractérisées. Leur ignorance des véritables origines alimente ensuite la puissance des Grands Hiérophantes autoproclamés. En France, plus d'une trentaine de branches différentes de la maçonnerie égyptienne prétendent posséder une filiation sur la base des Arcana Arcanorum. Cependant le plus souvent ces Rites Egyptiens n'ont d'Egyptien que le nom et ne possèdent pas les véritables Arcana Arcanorum.
Pour bien comprendre la situation il faut dresser une histoire des rites maçonniques égyptiens qui n'ont pas plus de 10 ou 20 ans comme certains, mais remonter à leur origine du 19ième siècle.
En 1814 en France, les frères Bédarrides implantent une loge du Rite de Misraïm à Paris. Mais les frères Bédarrides semblent ignorer alors totalement les Arcana Arcanorum ce qui les conduit à remplacer ces degrés par des degrés dits "administratifs". Certains rattachent abusivement la grande hiérophanie à l'Egypte ancienne alors qu'en réalité le Grand Hiérophante était autrefois un grand prêtre dans les Temples grecs. Il s'agit là d'une erreur grave qui reflète un manque de culture initiatique.
Le rite de Misraïm comporte alors 90 degrés. C'est ce que précisait Henry Durville en 1923 : "Le rite de Misraïm a 90 grades, le dernier degré, le 90ième, est celui de souverain grand maître absolu". Donc, aucune trace à la création de ce rite des Arcana Arcanorum. Par conséquent, quel crédit peut-on accorder aux degrés supérieurs au 90ième puisqu'ils ont été inventés postérieurement pour le besoin du moment ?
Quant à leur aspect initiatique, il reste assez douteux - Le rite de Memphis est apparu 30 ans plus tard. Seuls les naïfs peuvent croire que ce rite vient d'Egypte. C'est en réalité une création ex nihilo de Jacques Etienne Marconis de Nègre, suite à son exclusion du rite de Misraïm. Celui-ci a copié les rituels du Rite Ecossais en essayant de leur donner une teinte égyptienne. Gérard Galtier dans son livre "Maçonnerie Egyptienne, Rose-croix et Néo-Chevalerie" nous explique : "En réalité, l'année de l'apparition officielle du Rite de Memphis (1938) et son aspect général montrent bien qu il est postérieur à Misraïm d'une trentaine d'années et qu'il a été construit en imitation de ce dernier Rite, tout en intégrant d'autres apports (...) Dans la hiérarchie des grades du Rite telle qu'elle est décrite dans le Sanctuaire de Memphis (1849) les degrés 1 à 34 correspondent presque exactement aux 33 degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté".
Etant donné la situation séparée des rites de Memphis et de Misraïm, leur fusion par Garibaldi en un seul rite : Memphis-Misraïm, ne leur donne aucune crédibilité en matière d'Arcana Arcanorum. Comment ce nouveau rite pourrait-il posséder ce que les deux rites qui en sont à l'origine ne détiennent pas ?
Serge Caillet, dans son livre "Arcanes et Rituels de la Maçonnerie Egyptienne" nous signale un autre problème : celui des changements successifs apportés dans l'échelle de grades de Memphis-Misraïm : "De Misraïm et de Memphis, sera issu, comme on sait, le rite de Memphis-Misraïm, dont l'échelle des grades a varié selon les époques et les lieux, dans ses degrés, dans leur agencement, dans leur contenu rituel et doctrinal, parce que beaucoup de dignitaires de ce rite, ou des rites originaux qui le composent, y ont apporté leur réforme et leur remaniement (...) Aujourd'hui encore les souverains sanctuaires répandus dans le monde pratiquent parfois des grades différents, et d'aucuns même ont oublié le contenu des grades qu'ils transmettent encore, mais dont ils ne possèdent pas tous les éléments. Au reste, s'agissant de certains degrés, il est à craindre que leurs rituels n'aient jamais été encore rédigés, et par conséquent pratiqués. Ces grades sont alors donnés par simple communication, comme du reste certains autres dont la pratique a été abandonnée. Ainsi s'explique d'abord la différence du nombre de grades selon les puissances du rite, et si certains cénacles de Memphis-Misraïm affichent une échelle en 33, et quelquefois même en 7 degrés, c'est parce qu'ils ne prennent en compte que les grades effectivement pratiqués, dont le nombre est en effet souvent très réduit. Ni les frères Bédarrides, ni Marconis, ni leurs successeurs, n'ont pratiqué les 90 ou 95 degrés".
LE REGIME DE NAPLES
Du point de vue maçonnique, il convient de distinguer le système des frères Bédarrides, du véritable Régime de Naples qui renferme, lui, les authentiques Arcana Arcanorum. Citons Ragon qui nous parle de ces quatre degrés en ces termes : "Ils forment tout le système philosophique du vrai rite de Misraïm, lequel satisfait tout maçon instruit, tandis que les mêmes degrés chez les FF:. Bédarrides, sont une dérision frauduleuse née de leur ignorance".
Aujourd'hui beaucoup se réclament de Constant Chevillon (c'est-à-dire de la filiation Yarker), comme si cela constituait la garantie de la véritable transmission des Arcana Arcanorum, ce qui pourtant est loin d être le cas. La filiation Yarker est pour le moins douteuse et nous devons nous poser la question : D'où John Yarker tenait-il lui-même sa filiation ? "Le Rite Ancien et Primitif semble avoir été la grande entreprise de la vie de Yarker. Ce dernier changea plusieurs fois son échelle de grades qui de 33 degrés à l'origine passa plus tard à 97 degrés. Petit à petit, ce rite en vint à s'appeler Rite de Memphis et Misraïm (en 97 degrés) ; mais il est plutôt une modification de Memphis (en particulier de la version du rite présenté par Marconis en 1861 dans le Rameau d'or d Eleusis) qu'une réelle fusion entre Misraïm et Memphis. En effet, on y retrouve presque aucun de ceux des grades de Misraïm qui avaient été abandonnés par l'ancien rite de Memphis (...) Il y eut plusieurs rites de Memphis en 33 degrés. Berjeau en créa un en 1860 (peut-être pour se rendre indépendant de Marconis) ; Marconis de Nègre en créa un en 1862 et un autre en 1863 (pour se faire reconnaître du Grand Orient) ; Seymour en créa encore un autre à New York, qui est celui qu'adopta Yarker à l'origine. Chacun de ces rites était différent des autres et possédait sa propre échelle de grades"...
Jakin,
Sources :
Les Arcana- Arcanorum Monographie diffusée par l'Ordre Maçonnique Hermétique,
Jean-Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie in pour la Rose Rouge et la Croix d'Or,
Denis Labouré in Secrets de la Franc-Maçonnerie Egyptienne,
Gérard Galtier in Maçonnerie Egyptienne, Rose-Croix et Néo-Chevalerie,
Serge Caillet in Arcanes et Rituels de la Maçonnerie Egyptienne,
Rémi Boyer in La Franc-maçonnerie,
Henry Durville in Les Francs-maçons,
Jean-Marie Ragon in De la maçonnerie occulte et de l'initiation hermétique,