posté le 22-03-2025 à 08:24:02
LA PEAU DANS L'INITIATION MAÇONNIQUE

Lors de la cérémonie qui initie et officialise l'entrée en Franc-maçonnerie, force est de constater, même si cela est assez rarement souligné, que le corps, et particulièrement la peau, sont véritablement aux premières Loges, et jouent un rôle déterminant. L'impétrant est physiquement sollicité durant tout le déroulé du rituel. Bien sûr, ces pratiques n'ont plus rien à voir, en terme d'intensité, avec celles des initiations anciennes. Dans nos temples, comme dans les forêts amazoniennes, l'initiation se joue par le corps et sur la peau. Celle-ci comme un tambour, résonne de chacun des temps forts de la cérémonie.
Pendant un long temps, le postulant va méditer dans le cabinet de réflexion et sa peau peut y être parcourue d'un premier frisson, face aux emblèmes funèbres qu'il découvre dans l'obscurité du lieu aux murs noircis. Un crâne sans peau ni chair, la faux annonciatrice de la mort et ce VITRIOL... qui, à ce stade, ne fait pas encore songer à une représentation Alchimique du Grand Œuvre. Dans l'étrange cabinet où il est demandé de rédiger son testament philosophique, les frissons qui courent sur la peau peuvent aller jusqu'à gagner son âme, et l'une des sentences inscrites au mur le met en garde : "Si ton âme frissonne d'effroi, ne vas pas plus loin". Ainsi le frisson sur la peau est le signe avant-coureur d'une initiation réussie...
Avant que le postulant ne soit introduit dans le temple, un bandeau opaque est appliqué sur ses yeux. Cette suppression de la vue, sens dominant de l'humain pour se repérer dans les situations nouvelles, va exacerber toutes les autres perceptions et, en particulier, celles qui passent par la peau. Alors quand on lui entoure les mains de lourdes chaînes métalliques, le ressenti est infiniment plus fort. Au cours des voyages, il sentira son pied déchaussé butter contre les obstacles de la planche à boules. Il sent la pression douce et chaleureuse de la main du Frère ou de la sœur expert qui le soutient au passage de la planche à bascule, c'est à fleur de peau, qu'il vit sa première expérience incarnée de fraternité.
Après la terre, se sont l'air, l'eau et le feu qui viennent se coucher sur la peau du postulant. Après qu'il ait reçu la Lumière, sur le sommet de son crâne, le Vénérable Maître appuie légèrement l'épée flamboyante et par trois coups de maillet portés sur la lame engendre une vibration sonore qui gagne le labyrinthe de l'oreille, mais plonge aussi dans les profondeurs de la peau pour se propager au-dedans du corps. Ainsi, le sacre se vit, lui aussi, au travers de ce sens royal qu'est le toucher. Un toucher qui a le pouvoir de couronner de Lumière, en une réactualisation du fiat lux primordial, et de créer l'Apprenti maçon...
En franc-maçonnerie comme ailleurs, pour être initié, il faut être touché, subir, éprouver et non apprendre. En effet, il faut être touché au travers de sa peau. Il suffit d'entendre les impressions d'initiation des apprentis : ce ne sont pas les mots qui sont retenus, mais le bruit des chaînes métalliques, l'amertume du breuvage, la marche heurtée et périlleuse ou bien la flamme qui s'attarde sur la peau de la main, la piqûre sur le bras ou la brûlure d'une bougie sur la peau. C'est cela qui entre en nous et qui demeure.
Certaines voies spirituelles, notamment religieuses, ont fait du corps et de la peau les ennemis à combattre. Dans un dualisme primaire, elles ont bâti un homme à deux dimensions, composé d'une bonne âme, reliée au ciel, et d'un mauvais corps, stigmate de la déchéance humaine et lieu des passions. Si la première émane de Dieu ou du GADLU, le second est l'œuvre du diable ou d'un démiurge aux intentions néfastes. Cette vision réductrice, telle que l'on peut la retrouver particulièrement dans le gnosticisme, n'est évidemment pas celle de notre voie initiatique. Dans notre tradition, l'approche d'une connaissance supérieure passe par la danse rituélique appliquée au corps. La Franc-maçonnerie est une gnose, en ce sens qu'elle tend à la connaissance absolue en ne se limitant pas aux pures voies de la raison, mais bien au contraire du gnosticisme, elle ne rejette pas le corps et l'intègre comme voie d'accès à la Connaissance, en l'impliquant dans le rituel. Ainsi le rituel nous permet de vivre notre condition humaine non comme une opposition "corps-âme" ou "corps-psyché", à l'instar de ce que nous propose le monde profane, mais comme un véritable continuum "corps, âme, esprit". Parce que le rituel est déposé sur la peau, interface qui englobe et parle à la totalité de ce que nous sommes, il peut s'infiltrer jusqu'à la fine pointe de l'âme qu'est l'esprit.
C'est le moment d'avoir pour sa peau une vision réenchantée. Posons sur elle un regard plus attentif et plus doux même si quelques profonds sillons la parcheminent. Sachons reconnaître une fidèle et précieuse alliée dans notre quête spirituelle. Puissions-nous œuvrer sans relâche pour transmuter notre peau en habit de Lumière.
Jakin,