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Titre du blog : Les Black's Foot
Auteur : Jakin
Date de création : 03-09-2008
 
posté le 08-09-2008 à 07:43:15

UN COMPAGNON POUR QUEL VOYAGE ?

 



 

            Je n’ai pas pu m’empêcher de reprendre une citation du Frère Cauwel, dans son discours de Grand Orateur au Convent de la GLde France, en 1926 :

             « Les voyages de l’initiation au deuxième degré de la maçonnerie ont un but unique qui est de donner au jeune compagnon le moyen de progresser dans son Art en lui livrant le secret d’une méthode de travail qui lui permettra de ne pas perdre son temps, suivant une des quatre manières définies par notre F Voltaire : la première consistant à ne rien faire, la deuxième à faire des choses inutiles, la troisième à faire mal des choses utiles, la quatrième à faire des choses utiles en temps inopportun. »

            Sur ces bonnes paroles, me voilà compagnon, le VMa rempli mon bissac avec du pain, du vin, du sel et un miroir, puis ma souhaité bon voyage en m’accompagnant jusqu’à la porte du temple. Car c’est là, la destinée du compagnon, que de voyager.

            Resté seul sur les parvis, je comprends que le Compagnon est appelé au mouvement. Dans la tradition compagnonnique, il partait faire son « Tour de France ». La question est alors posée, un compagnon pour quel voyage ?

            Dois-je continuer à voyager autour du monde pour connaître de nouvelles sensations et assimiler une nouvelle philosophie ?

            Pour cela, dois-je refaire le voyage des sens et contempler les temples de Karnak quant le soleil se couche et marque de sa lumière oblique les pas de la divine Isis sur les eaux sacrées du Nil. Entendre avec humilité les bruits de la savane africaine le soir sous la tente en imaginant les premiers hommes qui se dressent à l’aube de l’humanité. Toucher avec respect les pierres refroidies, par une belle nuit étoilée, aux pieds des temples de kusco, ou de la cité Inca du Machu Picchu en admirant ces grands bâtisseurs. Sentir avec ostentation les odeurs enivrantes de la cannelle, de la vanille et du safran lorsque le jour pointe sur les petites Antilles. Goûter avec délectation un plat de mézés dans un petit port Chypriote, ou un thé à la menthe sur une natte en plein désert du Wadi Rum comme le rituel du voyageur étranger que l’on accueille.

            Dois-je refaire le voyage des architectures en parcourant la Grèce antique, la crête, la Turquie byzantine ou les îles Cyclades comme l’a fait jadis Ulysse pour m’imprégner de la sagesse, de la force et de la beauté des colonnes Doriques, Ioniques, Corinthiennes ou Toscanes.

            Dois-je refaire le voyage des arts et partir pour apprendre la grammaire Diola dans une petite école de basse Casamance ; participer à un symposium des Nations Unies pour maîtriser l’art du discours ; faire retraite dans un Mandala du toit du monde pour assimiler la logique des hommes ; faire un stage chez un banquier Suisse pour  acquérir, multiplier et se soustraire au nombre ; courir les jardins du Prado à la recherche de ses lignes ésotériques ; assister au concert mythique des Pink Floyd à central Parc pour retrouver les rythmes de mon corps ; et finir ce voyage aux cent mille soleils d’Odeillo la tête dans les étoiles à la recherche de la voûte céleste.

            Dois-je refaire le voyage des cultures et parcourir les interminables couloirs poussiéreux de nos grandes bibliothèques pour retrouver les traces des écrits de nos penseurs, pour acquérir la sagesse ou la justice de Solon, la morale ou la prudence de Socrate, la règle ou la force de Lycurgue, la théorie ou la tempérance de Pythagore. Et remplie de ses vertus méditer sur la terre, l’eau, l’air et le feu aux pieds de la forteresse de Massada ou dans le désert de Judée.

            Dois-je refaire le voyage de la glorification du travail en rendant compte que dans les Andes péruviennes à plus de 6000m d’altitude, des indiens frappent la roche dans des cavernes profondes, avec un simple burin et une massette pour détacher quelques kilos de minerai afin de faire vivre leur famille. Que cette condition est acceptée parce qu’ils sont croyant en un être suprême la Pacha-Mama qui les protège et à qui ils font des offrandes journalières de feuille de coca, d’alcool et de tabac.

            Si j’ai volontairement puisé, dans mes voyages de profane la trame du voyage initiatique du compagnon c’est que je reste persuadé que l’un et l’autre sont des voyages complémentaires. Ils s’effectuent pendant un long chemin sous les hospices du pavé mosaïque, à la frontière entre le blanc et le noir, entre le bien et le mal, comme une dualité. Du voyage du profane au voyage du compagnon il y a un sens commun : le regard.

- Le premier regarde vers l’extérieur, le second regarde vers l’intérieur.
- Le premier nous permet de rencontrer l’autre celui qu’ont nomme l’étranger. A son contact nous échangeons, nous comparons, nous nous découvrons et puis nous nous améliorons. Ces rencontres sont des instants de bonheur et de joie, elles finissent bien souvent par une profonde amitié qui perdure malgré les distances.
- Le second qui est l’essentiel reste le voyage intérieur que doit parfaire le compagnon.

 

            Ce voyage que l’apprenti à commencé entre le cabinet de réflexion et les quatre éléments doit se perpétuer en y intégrant de nouveaux paramètres que le rituel lui à donné : Maillet et ciseau, niveau et perpendiculaire, équerre et compas, compas et règle, les sens, les ordres d’architecture, les arts libéraux, les philosophies, la glorification du travail, et la synthèse de la lettre G.

            Ces deux voyageurs, qui ne sont en fait qu’un, accomplissent une même destinée, ils cherchent à s’améliorer sur le chemin de la vie. Car tous les lieux sont propices à la réflexion symbolique et tous les lieux peuvent être porteurs de symbole, c’est pourquoi, le franc-maçon est  un être qui s’accompli dans le devenir.

            Si le compagnon est traditionnellement voué au voyage. C’est que le compagnon n’est pas « installé ». Il est seulement adapté à l’état qui sera le sien, c’est-à-dire, à celui de travailleur spécialisé, qui se trouve dans l’obligation de se rendre de chantier en chantier pour répondre à la demande. Ou tout simplement de loge en loge pour se réaliser, échanger avec les autres, et surtout dans la différence des rituels se confronter avec d’autres miroirs.

            Le compagnon doit-il essayer de rechercher une liaison horizontale c’est-à-dire entre : le maillet et le ciseau, les sens, la gravitation, ou entre l’équerre et le compas, les ordres d’architecture, la géométrie ? Le compagnon doit-il essayer de rechercher une liaison horizontale entre les symboles et les figures proposées à son attention au cours de la cérémonie rituelle ? Cette question est pratiquement une banalité. Il n’y a pas de compréhension, si l’ensemble des données de l’expérience n’est pas ordonné selon une série. Car  il faut établir entre les données un lien, un fil d’Ariane, qui permette de suivre une progression et d’établir une finalité.

            Au grade de compagnon, nous nous trouvons lancés dans l’initiation de métier. Cette initiation implique des étapes et suppose des moyens. Les étapes sont d’abord la connaissance des éléments, des matériaux, puis l’exercice de la sensibilité et l’apprentissage de l’activité manuelle, la maîtrise des outils. Succèdent à ces nécessités les données de la condition. La condition du Compagnon est obscure. Il est au service d’un maître d’œuvre, il est l’exécutant, et l’exercice de ses talents est toujours limité à un domaine fragmentaire, à une partie seulement de l’œuvre. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir à tenir compte des conditions générales de la création.

            La création est toujours fonction de la nature. Il n’y a pas d’art qui échappe au conditionnement, soit humain, soit naturel, et si l’ouvrier ne tient pas compte de ce conditionnement, sa création ne peut avoir ni durée ni valeur exemplaire.

            Or, c’est par l’exécution du chef-d’œuvre que l’ouvrier montrera son aptitude à atteindre la maîtrise. Autrement dit, il devra faire preuve qu’il a sinon maîtrisé, du moins tenu compte de l’ensemble des données qui contribuent à l’élaboration d’une œuvre. Ces données sont certes matérielles, mais elles ont un rapport avec la vie et avec le temps.

            Symboliquement, on peut comprendre le voyage du Compagnon comme le pèlerinage au milieu des hommes, et ce pèlerinage lui fait découvrir la diversité des créatures et l’universalité de l’humanité. Mais le voyage dans l’espace est une sorte de substitut du voyage dans le temps. Et c’est en quelque sorte à la recherche du point fixe que se voue le Compagnon. Ce point fixe, il peut évidemment le chercher à travers la terre comme le lieu le plus favorable, comme le séjour le plus prometteur : c’est la terre fortunée, peut-être la terre promise ou qu’il croit lui avoir été promis. La méditation lui permet de mesurer ce que peut avoir de fugace la satisfaction que l’on éprouve à la possession des richesses intérieures et le Compagnon cherche, au-delà du lieu d’asile, la référence absolue, le centre immuable autour duquel il pourra se construire, édifier sa personnalité.

            Le Compagnon est donc en contradiction, car il est dans l’obligation d’errance comme l’est aussi la loi ancestrale de l’humanité. Car c’est la destinée humaine du Compagnon : de marcher toujours. Jamais on n’arrive à la maison, jamais on n’atteint vraiment le refuge, la terre d’éternité. Et ce n’est pas en accumulant les richesses et les pouvoirs que les hommes s’assureront contre le temps qui passe. Alors le Compagnon voyage à l’intérieur de son moi le plus profond pour trouver la vérité.



Citation d’Edouard Plantagenet, « causeries initiatiques pour le travail en chambre de compagnon » :
- Donne aux mots leurs sens propres – Les approximations sont des causes d’erreurs et engendrent la logomachie.
- Ramène les faits à leurs proportions réelles – Ne sois dupe ni de ton imagination, ni du prestige illusoire des valeurs usurpées.
- Donne à tes raisonnements une limite afin de ne point t’égarer en de fallacieuses contingences.
- Donne aux rapports des choses entre elles une mesure afin que leur coordination logique ne dépasse point tes possibilités.
- Considère toujours chaque chose et toutes les choses en leur relativité – L’absolu n’est pour l’homme qu’une aspiration inconsciente vers l’inconnaissable.
- Tel est le secret, telle doit être aussi la loi.
 
Jakin