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Titre du blog : Les Black's Foot
Auteur : Jakin
Date de création : 03-09-2008
 
posté le 11-09-2008 à 09:11:43

ENTRE LE YIN ET LE YANG...



La Chine millénaire du 7 au 23 août 1988

            La Chine figure incontestablement parmi les grandes civilisations mondiales. Depuis des millénaires elle a marqué de son empreinte l’histoire du continent asiatique et son rayonnement s’est étendu bien au-delà de ses frontières originelles. Jusqu’à nos jours, pour les habitants de ce pays, la patrie est Zhong-guo, « l’empire du milieu ». Si cette conception est quelque peu dépassée dans l’optique politique et géographique contemporaine, il n’en reste pas moins que, pendant des millénaires, cette image était au centre de la pensée chinoise…

            Avant même d’avoir posé un pied sur son sol, l’évocation de la Chine invite au voyage. Pagodes aux toits « en gondole » pour chasser les mauvais esprits, routes de terre où se croisent paysans et pêcheurs, paysages éternels, des ponts lumineux en guirlandes douces et dansantes éclairent les méandres du fleuve. Ce sont les fanaux des pêcheurs juchés sur des radeaux de bambou qui envoient des cormorans à la gorge nouée d’un lacet becqueter les poissons à la lueur des lanternes. De Guilin à Yangshuo, on pêche ainsi depuis plus de 4 000 ans, depuis les temps lointains où un empereur paranoïaque se fit enterrer avec une armée de 7 000 soldats de terre cuite et où des moines bâtisseurs sculptaient dans les falaises de Longmen d’impressionnants bouddhas de pierre, que nous découvrirons à Xi’an et Luoyang, nos prochaines étapes en Chine centrale…


        Dix-huit jours ne sont pas suffisants pour déambuler dans l’empire du milieu. Mais nous partons volontiers pour cette nouvelle aventure. Quelques vêtements légers, un K-way pour la pluie, lunettes de soleil et casquette sont vite jetés dans une valise. Juste l’indispensable car il n’est pas nécessaire de faire des effets de mode dans un pays où seule une chemise tombante portée sur un pantalon de toile constitue le standard de la tenue traditionnelle…

            Pékin ce n’est pas la porte à côté. Dix-huit heures de vol et quatre escales techniques ( Paris, Zagreb, Dubaï, Calcutta ) sont nécessaires pour y arriver. Cela constitue, déjà en soi, un périple pour un Globe-Trotter même expérimenté…

            La première impression de Pékin, quand on sort de l’aéroport – très vaste, assez triste, relativement peu animée, mais d’une propreté scrupuleuse -, est celle de l’abondance et de la beauté de la végétation. La route qui conduit à la capitale est bordée de beaux arbres bien entretenus. Les abords de la ville, quand on pénètre en zone urbaine, sont sans attrait architectural : immenses bâtisses de brique du style usine. En ville, quelques voitures, officielles ou diplomatiques, se fraient difficilement un passage au milieu d’une nuée de bicyclettes. C’est la fin de la journée, notre guide nous installe au « Qianmen Hôtel**** » où nous prenons notre premier repas baguettes…
     

 

            Très tôt le matin nous nous envolons à bord d’un petit avion pour la ville de Xi’an dans la province du Shensi. A notre arrivée sur l’aérodrome, nous sommes accueillis par de charmantes hôtesses en habits traditionnels qui nous offrent galettes et petits souvenirs. Il faut dire que nous sommes les tout premiers européens à visiter la Chine profonde. Notre guide local nous installe au « Xiantangchenghotel*** » pour deux nuits…

        Xi’an est l’une des plus illustres villes de Chine, car elle joua un rôle dans l’histoire chinoise pendant plus de 3 000 ans et servit de capitale à plus de onze dynasties. Elle était aussi la dernière étape de la Route de la Soie. La vieille ville, telle que l’époque Qing nous l’a laissée, se présente sous une forme rectangulaire. Elle est divisée en quatre par les avenues Xi da Jie et Guang Ji qui se croisent au centre de la ville et commencent chacune à l’une des portes de l’enceinte…
     
            Au carrefour de ces avenues se trouve la Tour de la Cloche qui, haute d’un peu moins de 30 mètres, se compose de deux parties, un soubassement massif de forme quadrangulaire percé sur chaque face par un portail voûté et une superstructure formée de trois étages coiffés d’une toiture recourbée. Toujours curieux, nous accédons à la partie supérieure par un escalier partant du côté nord du monument construit à l’époque Tang. La vue sur la ville est magnifique…
  

   
            La Tour du Tambour s’élève dans la partie méridionale de la rue Bei Yuan Men da Jie, un peu au nord-ouest de la Tour de la Cloche. Plus récente que cette dernière à laquelle elle ressemble assez, et légèrement plus haute, elle fut achevée en 1370 sous la dynastie Ming. Nous visitons le quartier musulman car Xi'An est la première ville musulmane de Chine et il est surprenant de voir le mélange de deux
types architecturaux différent…
         
            Nous continuons à découvrir la ville avec les remparts, le musée provincial avec son extraordinaire « forêt des Stèles », les deux pagodes des dynasties Tang : la  Dayan (Grande Oie Sauvage), la Xiaoyan (Petite Oie Sauvage), le temple des dieux protecteurs et le musée d’Histoire installé dans l’ancien Temple de Confucius…
     
            Rien de tel pour apprécier la légendaire hospitalité Han qu’une balade au marché de Tanshi Jie. Entre les allées surchargées de légumes colorés, d’épices odorantes ou de mets exotiques comme les grenouilles géantes ou les vers de Canton, quelques gestes et des sourires suffisent à expliquer qu’on aimerait être pris en photo avec nous, nous inviter à souper ou nous présenter toute la famille...
     


            La deuxième journée est consacrée à la visite des environs de Xi’an. Près du village de Ban po, à une dizaine de kilomètres au nord, nous découvrons un site néolithique appartenant à la culture de Yang shao (vers 6000 av. J.-C.). le site comprend une zone d’habitation, une nécropole et des ateliers de potiers. Puis à cinquante kilomètres au sud de la petite ville de Lin tong, s’élève le Mont Li sham, célèbre pour ses sources chaudes. Dès l’antiquité, les princes résidant à la capitale avaient coutume de s’y rendre pour prendre des bains. L’empereur Tai zong (627-649) s’y fit construire un palais que ses successeurs firent agrandir et que l’on nomma d’après la source « palais de la pureté glorieuse »...
     
            Après le déjeuner nous nous dirigeons vers le tumulus de Qin shi Huang di. L’attention du monde a été attirée depuis 1978 par les découvertes sensationnelles faites par les archéologues chinois près du tumulus du « premier auguste empereur des Qin » (221-209 av. J.-C.), le fondateur de l’empire céleste. Au cour de la visite on découvre d’impressionnantes séries de statues de guerriers plus grandes que nature, qui témoignent de l’habileté des artistes et de la qualité que l’art chinois avait déjà atteint au 3ième siècle av. J.-C…
      


            Ce matin nous quittons Xi’an en car pour rejoindre Nankin notre prochaine halte. Une longue étape à travers la province de Jiangsu sur des routes étroites qui traversent une multitude de petits villages. Dans ces villages notre progression se fait au pas car la foule nous empêche d’avancer. Les paysans restent en nombre sur la route, qu’aucun véhicule n’emprunte ordinairement. Nous sommes une attraction pour eux. Un car avec des blancs dedans, c’est une première !…
         
            C’est aussi une belle promenade à travers une campagne fertile en blé, riz et soja. La route traverse le bassin rouge, puis une région de collines avec des cultures de riz en terrasses. Composée essentiellement de paysans, la Chine s’active sans cesse. Sur tous les chemins on croise des groupes de porteurs qui transportent dans des paniers à dos ou à bascule des fruits, des légumes et surtout du riz…
     


            Les nombreux villages permettent de visiter à Lidui, le plus ancien système d’irrigation (3ième siècle), à Leishan, un élevage de vers à soie et une fabrique de coton. Les artisans sont fiers de nous montrer leurs savoir dans la réalisation de poteries traditionnelles et de dessins calligraphiés à l’encre de chine…
     
            Nous arrivons enfin en début de soirée à Nankin pour loger dans un magnifique hôtel, le « Jinling », ancien palais du gouverneur. La façade imposante et décorée de céramique rouges et vertes. Elle présente un sommet de l’architecture chinoise. L’intérieur est encore plus raffiné. Tout le mobilier est d’époque Ming. Laques et faïences, d’une sublime beauté, habillent toutes les pièces. On baigne dans l’art de vivre de l’ancienne société chinoise. Avant le dîner, nous profitons de faire quelques exercices de Taï shi sur la place centrale…
     


               Nankin est le chef-lieu de la province du Jiang su, située sur la rive méridionale du fleuve Yang tsé. La chaîne sinueuse des « montagnes de pourpre » entoure sa banlieue. Nous commençons la visite de la ville par la porte Yi feng au sud de la gare. De là, part l’avenue Zhong shan lu, artère bordée d’arbres, qui conduit au centre ville. C’est là que s’élevaient autrefois à l’époque des Cinq Dynasties (450-589) les palais impériaux. Ce sont maintenant des lieux de repos et de promenade pour les habitants et les visiteurs étrangers. Après être sorti de la ville par Zhong shan men, on arrive au mausolée de l’empereur Hong wu, fondateur de la dynastie Ming qui mourut en 1398. Le tombeau du premier empereur Ming servit de modèle à ceux de Pékin…
     
            L’après-midi est consacré à la visite du mausolée de Sun Yat sen, le fondateur de la République chinoise en 1912. Il se situe sur le versant méridional de la montagne de pourpre. On arrive devant un pavillon couvert de tuiles bleues qui contient une stèle monumentale en granit. De là, un escalier en paliers mène au mausolée proprement dit. Au centre a été placée une statue en marbre du grand homme politique, sculptée par un français (Landowski)…
     


              Le car nous laisse devant la gare ferroviaire. Nous traversons une marée humaine qui vagabonde dans le hall pour atteindre le quai numéro un. Un train de nuit, tiré par une locomotive « 151TR » qui crache des panaches de fumées comme dans le film « La bête humaine », est prêt pour le départ. Cela nous rappelle nos souvenirs d’enfances. Les couchettes en acajou et bois de rose richement décorées sont spacieuses et confortables. Nous passons ainsi la nuit, bercés par le rythme régulier des bogies sur le rail. Au petit matin le service du thé nous réveille, nous sommes dans la province du Sichuan…

            Le train ralentit, puis s’arrête à la gare de Chongqing. Les wagons semblent restituer leur trop plein de voyageurs. Tout le monde se dirige vers la sortie. Notre guide local nous récupère et nous dirige vers notre hôtel, le « Yuzhou Guesthouse ». Une fois les valises déposées, nous prenons la route de Dazu…

            On commence la visite au centre de la ville de Dazu, par la paroi des neuf dragons, construite au début de la dynastie Ming (14ième siècle). Puis on se rend ensuite dans la partie orientale de la cité pour visiter : le monastère d’en haut et d’en bas, tous deux fondés sous les Liao et reconstruit autour de 1140 par leurs successeurs les Jim ; le monastère du sud, fondé par les Tang et reconstruit au 12ième siècle. L’ensemble des bâtiments qui le composent nous donne un aperçu de ce que pouvait être autrefois un grand monastère bouddhique…
     


            L’après midi est consacré à la visite des grottes. Au nombre de 492, elles furent creusées et décorées de sculptures et de peintures murales entre le 5ième et le 14ième siècle. Elles constituent un des sommets de l’art universel. Redécouvertes au début du siècle dernier par l’anglais Aurel Stein et le français Paul Pelliot, les grottes sont aujourd’hui sous la garde de l’institut chinois des reliques culturelles. La grotte du Nirvana (N° 158) - le bouddha couché -, où l’on peut remarquer au premier plan les personnages « exotiques » des princes originaires d’Asie centrale et de l’Inde. Nous retournons pour la nuit à Chongqing…
     
            Cette ville servit de capitale à la république de Chine pendant la guerre de 1938-1945, alors qu’une grande partie du territoire national était occupée par les japonais (gouvernement du maréchal Tchang Kai-chek). Elle ne possède aucun monument ancien, toutefois le paysage des environs ne manque pas de charme. Nous en profitons pour prendre un bain de foule et pour faire une petite prière à bouddha afin qu’il protège la suite de notre aventure…
         


            Vers la fin de la matinée nous nous dirigeons vers l’embarcadère où nous attend le « M.S. White Emperor », un bateau fluvial. Pendant quatre jours nous allons remonter le Yang-tsé Kiang (le grand fleuve jaune) de Chongqing à Nankin. Le personnel nous accueille à bord et nous installe dans une magnifique cabine située sur le pont supérieur…
     
            Sur une cinquantaine de kilomètres le bateau semble s’enfoncer entre deux murailles de rochers. La gorge de Qutang « la gorge du soufflet », longue de 8 kilomètres, elle fut le théâtre d’importants épisodes de l’histoire de la Chine et inspira des poètes et des peintres célèbres…
     


            Le paysage devient particulièrement pittoresque à hauteur de la ville d’Ychang où le fleuve s’engouffre entre deux falaises escarpées qui bordent par intermittence les rives du cours d’eau sur près de 200 kilomètres. On atteint d’abord la gorge de Xiling « ou gorge de l’ouest » qui s’étend sur près de 30 kilomètres, puis celle de Wu « la gorge des sorcières », particulièrement étroite et impressionnante. Du haut de ces falaises, parfois, des paysans maladroits tombent et se noient. Nous voyons ainsi flotter un cadavre que personne ne peut récupérer. Il n’y a pas d’accès…
     
            La vie à bord est agréable : promenade sur le pont pour admirer le paysage, pause détente dans le salon bar panoramique, devant une bonne bière locale, gymnastique chinoise pour les plus téméraires et plus tard dans la soirée, danses modernes au « night club ». Mais l’essentiel se déroule dans la salle de spectacle où un conférencier nous initie à la langue chinoise et nous révèle l’histoire de son pays, tel que Lao-Tzu (-570 –490) philosophe fondateur du Taoïsme, Confucius (-551 –479) philosophe qui a fait partager son éthique, Sun-Tzu (5ième av. J.-C.) auteur de l’art de la guerre où Qin Shi Huangdi (-221) premier empereur de la dynastie Qin…
     


            Au matin du troisième jour, nous arrivons à hauteur de la ville de Wu Han. Le bateau jette l’ancre dans la partie navigable du fleuve. Des sampans à fond plat nous ramènent vers le rivage en remontant le Yang zi, un affluent du Yang tsé. C’est dans cette ville que prit naissance, en 1911, le mouvement révolutionnaire qui allait renverser l’empire céleste. Nous partons pour la visite du Dong hu (le lac de l’est), un des plus grands lacs de Chine, réputé pour la beauté de ses paysages. Aux alentours du lac, on remarque le Chang chun guan (temple du long printemps), c’est un sanctuaire taoïste de fondation très ancienne, élevé d’après la tradition à l’emplacement où Lao zi lui-même s’était arrêté un jour…
     
            Après avoir dégusté un excellent repas paysan dans un petit restaurant autochtone, nous retournons sur notre bateau. Mais tout d’abord il faut redescendre sur plus de 100 mètres, en file indienne, les marches taillées dans la paroi abrupte de la falaise. Le vide semble nous attirer et le vertige nous accompagne jusqu’aux sampans qui nous attendent en bas. Nos petites embarcations ont du mal à défier le courant jusqu’au mouillage du « M.S. White Emperor ». Construites en bois léger avec un faible tirant d’eau, elles ne sont pas stables dans le sillage laissé par la barque précédente et se dandines comme une coque de noix…  

 

 

            La croisière se termine à l’écluse de Nankin. Nous avons Juste le temps de débarquer que notre guide local nous conduit à l’aérogare militaire. Là, il faut jouer des coudes avec un groupe d’italiens qui veulent prendre l’avion avant nous. Nous sortons vainqueur de la joute, en faisant comprendre aux autorités que c’est bien notre tour. Une fois sur le tarmac, nous réalisons que nous pourrions faire partir les italiens en premier, histoire de tester l’appareil ! En effet un vieux « coucou » à hélice, du début du siècle, est posé sur la piste. L’intérieur est sommaire, les fauteuils sont fixés à même le plancher et la carlingue montre ses poutrelles d’acier. Il faut une très grande distance à l’avion poussif pour qu’il puisse décoller en bout de piste…
     
            Nous atterrissons quelques heures plus tard à Canton où le rituel de réception se renouvelle. Nous réalisons qu’ils sont tellement contents de nous voir arriver sains et saufs, qu’ils nous offrent cadeaux et gâteaux. Notre guide local nous installe au « Swan Cindic Hôtel » où sont logés la plupart des visiteurs. Puis nous partons à pied, découvrir le centre ville, par l’Avenue de la Libération. Les premiers contacts avec les Européens remontent aux explorateurs portugais, qui s'installèrent de façon permanente dans le delta de la Rivière des Perles dès le XVIe siècle. La colonisation de Macao date de cette époque. Après le déclin portugais, d'autres nations européennes tentèrent de s'implanter dans la région afin de commercer avec la Chine. Les Britanniques d'abord puis les Français au XIXe siècle s'établirent à Canton. Guangzhou fut l'un des cinq ports ouverts par le traité (inégal) de Nankin, signé en 1842. Celui-ci marquait la fin de la Première guerre de l'opium.
   

 
            Il n’est pas question dans cette avenue principale de s’asseoir sur un banc pour se reposer. En effet en quelques minutes, les cantonais s’agglutinent et nous entourent. Ils se parlent en nous montrant du doigt, rient en se cachant le visage, et engagent la conversation par geste, car leur curiosité est grande. C’est une drôle de sensation que d’être ainsi observé. Avant qu’il nous jettent des cacahouètes comme aux  grands singes, nous décidons de partir visiter les monastères environnants…
     
            Dans l’après-midi nous partons visiter le parc Yua xin, nom de la colline sur laquelle il a été aménagé. Nous pouvons y admirer la végétation et en particulier les fleurs de la zone subtropicale dont Canton fait partie. Dans la partie septentrionale du parc, un lac artificiel agrémenté d’îlots et de pavillons a été creusé. Le long des chemins pavés de magnifiques sculptures monumentales, représentant des éléphants porte bonheur ou des animaux mythologiques, trônent en bonne place. Le Temple des Six Banians " Liurong Si " est le siège de l'Association bouddhique de la ville. Dans ce temple, la salle de prière renferme plusieurs statues d'époque Qing. Derrière cette salle, trône une magnifique pagode en pierre de 7 m…
     


            La renommée de la cuisine cantonaise n’est plus à faire, encore que les nuances entre les différentes traditions régionales nous échappent. Ce soir nous poussons la porte du Qingchuan. La table chinoise est ronde et prévue pour huit à douze couverts. Sur un plateau circulaire sont placés les plats. Autant de mets qu’il y a de convives et même un de plus si l’on veut faire particulièrement honneur à ses hôtes. Chacun se sert avec des baguettes dans les plats du centre, et dispose ce qu’il a choisi dans le bol placé devant lui…
     
            Le repas commence à 18h30 avec quelques hors-d’œuvres épicés : crabes, salade de poulet, œufs conservés. Après que le bol ait été rempli de riz, on déguste du poulet chaud aux amandes avec du gingembre et du poisson vert et le fameux canard laqué. Au milieu du repas on consomme quelques plats sucrés comme de la purée de cacahuète, de la viande de porc hachée aux bambous et une variété de légumes. Le tout arrosé d’une excellente bière de Qing dao ou de thé vert servi à discrétion. Le repas se termine par un consommé d’oranges très relevé et par un verre d’alcool de riz. On trinque en levant sont verre bien haut et en prononçant très fort « gan-bei ». Il est maintenant 22 heures et, il est temps d’aller se coucher…
 


            Aujourd’hui c’est grasse matinée. Un luxe, car nous prenons le temps de déjeuner et de flâner dans l’hôtel. Notre guide vient cependant nous chercher pour nous accompagner à l’aérogare, direction Su Zhou dans la province de Jiang su que nous atteignons après quatre heures de vol…

            Cette fois l’avion est un bimoteur plus récent, probablement des années 50. A l’atterrissage, toujours le même rituel, nous ne savons plus quoi faire des breloques que l’on nous offre. Le guide local nous prend en charge et nous installe dans le seul hôtel pour visiteurs de la ville : le « Suzhou hôtel »…

            Quoique les remparts de l’époque Song aient été détruits, on reconnaît facilement les contours de la ville, bordés comme ils le sont encore par le tracé des canaux qui l’entouraient. L’intérieur de la cité est parcouru par un réseau de canaux enchevêtrés qui ont donné à Su Zhou le surnom de « Venise de l’Orient ». Nous ne pouvons plus parcourir ces voies d’eau en barque, mais il nous est cependant possible d’observer, à partir d’un des trois cents ponts, la vie animée de cette fascinante cité qui compte de nos jour plus de 900 000 habitants…
     


            La ville est renommée pour la beauté de ses jardins. L’histoire se confond avec celle de leurs créateurs et propriétaires. La plupart du temps, le fondateur était un mandarin local de haut rang ou un fonctionnaire impérial retraité qui se consacrait avec ses amis à la poésie, la peinture et la calligraphie. Nous en visitons quelques uns. Au 6ième siècle de notre ère, l’ardeur à construire des jardins restait vivace. Durant les deux dernières dynasties de Chine, les Ming et les Qing, les jardins privés gagnèrent toute la ville. Du 16ième au 18ième siècles, période d’or du paysagisme, la ville comptait 200 jardins privés : le jardin de l’Humble Administrateur, le jardin Liu, le jardin du Maître des Filets etc.…

 

            L’après-midi nous partons pour la visite de la colline du tigre située à un peu plus de trois kilomètres au nord-est de la ville. La tradition veut que le roi Wu he lü (6ième s. av. J.-C.) ait été enseveli au sommet de la colline et que sa tombe fut gardée par un tigre. On y accède par un sentier en pente et en franchissant un pont enjambant une crevasse. Au sommet de la montagne, après avoir gravi un nombre incalculable de marches, la vue est splendide. Épuisés, nous retournons nous reposer à l’institut de recherche de la broderie où nous assistons à un défilé de mode…
         


            Peu à peu, notre périple atteint son point d’orgue. Encore quelques heures de vols et nous voilà de retour à Pékin pour trois jours. Ville éternelle aux infinis paysages urbains sur la plus grande place du monde : Tien An Men. Au cœur même de la ville, face à la cité impériale, s’étend sur près de 40 hectares, la grande place de la paix céleste. Au nord, le mur rouge de la cité s’élève des deux côtés du portail imposant qui assurait autrefois le passage entre la ville tartare et la ville chinoise…

            Entre le mausolée de Mao et les rues piétonnes, un tourbillon nous entraîne vers la Cité interdite. Fermée au monde pendant six siècles, elle livre aujourd’hui la majesté de ses pagodes en bois du Yunnan et marbre du Sichuan, de ses cours pavées et de ses temples secrets où flotte le souvenir de Pu Yi, le dernier empereur…
     


            C’est un fascinant défi pour nous que de se retrouver face à cet ensemble de 800 palais, salles d’honneur, sanctuaires, pavillons. Cours et bâtiments se succèdent à l’intérieur selon un axe central conduisant à des salles de cérémonies aux parties privées. On ne peut pas tout visiter. Il faut faire des choix et c’est le plus terrible…
         
            Dans le quartier Est on visite le temple du Ciel. Il fut construit une première fois au 15ième siècle et remanié au cours du 18ième siècle. Il reste cependant un des plus remarquables exemples de l’architecture Ming. Après avoir franchi la seconde enceinte par une porte, on aperçoit sur la droite le palais de l’abstinence. Par une porte rouge située au sud de cet ensemble, on gagne en obliquant vers la droite le Huan qiu tan où tertre circulaire plus connu sous le nom « d’autel du ciel » qui fut édifié en 1530 et agrandi au 18ième siècle…
     


            Par delà les hauts murs de la Cité, nous parvient une rumeur intense, celle du quartier de Hutong, aux ruelles bordées de maisons basses, où les Pékinois vivent dans la rue : rituel fascinant du thé vert pris sur un perron, parties de mah-jong, ballet incessant des vélos et tricycles aux chargements hétéroclites…
     
            L’authenticité de ce quotidien quasi intemporel est si émouvante qu’elle ferait presque oublier qu’il reste une merveille à découvrir ! La Grande Muraille, le « Dragon de 10 000 lis » (1 lis = 1,5 Km), qui du nord de Pékin jusqu’à la Mongolie, devait prévenir la Chine des invasions barbares. Défense inutile qui donne pourtant la mesure du pays, si puissant, mais à l’équilibre si délicat…

 

 

            Comme les empereurs, nous prenons un peu de repos au palais d’été (Yi he yuan) situé à 6 kilomètres de la porte Xi zhi men. L’ensemble des palais et des jardins couvre une superficie de près de 2,7 Km². La partie septentrionale de ce domaine est occupée par la montagne Wan shou shan, à son pied s’étend le lac Kun ming qui couvre la plus grande partie de l’ensemble de la résidence d’été, entourée d’un mur d’enceinte…
     
            L’entrée principale est précédée par un grand Pai lou (portail d’honneur) en bois. On pénètre dans le palais oriental en contournant un écran protecteur placé juste derrière l’entrée. Parmi les innombrables pavillons qui forment l’ensemble du palais, on visite principalement le pavillon de la bienveillance et de la longévité, le pavillon de la vertu et de l’harmonie, on parvient ensuite au pavillon des vagues de jades et au palais de la longévité dans la félicité, tout un programme !…

 

 

            Notre aventure prend fin ce matin, au marché du peuple, sur l’emplacement de l’ancien temple de la richesse et du bonheur. Sur les étalages sont présentés pêle-mêle : chiens, chats, serpents, tortues, mulots et autres mets inconnus. Nos estomacs se nouent littéralement en pensant à nos derniers repas !…

            Nous avons eu du mal à nous retrouver dans les époques Ming, Tang, Song, Qing et autres Shang, mais nous avons apprécié l’accueil et la gentillesse de ce peuple. Ce voyage dans le pays de Confucius restera un parcours initiatique. En effet, pour la première fois, dans cette Chine profonde, nous avons été observés comme un objet de curiosité. Une magnifique leçon de sagesse pour des Globe-trotters, incorrigibles voyeurs…

 

            Notre guide nous conduit à l’aéroport. Le hall d’entré est plein à craquer. Pour arriver au  bureau d’enregistrement on frise l’émeute. Le commandant de bord, debout sur le comptoir, s’égosille en invitant les passagers à faire passer leurs valises. Une chaîne se constitue avec difficultés, et voilà que les valises circulent sur nos têtes pour atteindre leur destination. Une situation ubuesque comme un dessin de Dubout ! Esquichés comme des sandwichs, nous passons les formalités de douane et de police et nous dépensons nos derniers Yuan en souvenirs…

            L’avion part avec deux heures de retard. Mais quelle importance ! Il nous reste dix huit heures de vol pour rentrer en France…

 

 

 

Andrée et Armand