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Titre du blog : Les Black's Foot
Auteur : Jakin
Date de création : 03-09-2008
 
posté le 12-09-2008 à 09:21:38

AU PAYS DE LA TERANGA...



Sénégal, Gambie du 25 mars au 1er avril 1989




    

        Terre de la Teranga, pas de collier ni de fleurs, ni de réception factice, pour recevoir l’étranger, le sens de l’hospitalité africain est à la fois plus grave et aussi plus léger. Si au Sénégal on a le contact et la plaisanterie faciles, on accorde beaucoup de sérieux à tous ces rites qui feront de vous à jamais un ami…

        Le Sénégal comble tous ceux qu’anime l’envie de courir les chemins les plus reculés, de plonger dans ces mers chaudes où, chaque fin d’après-midi, descend un soleil en feu, d’échanger quelques mots d’une pirogue à l’autre, de goûter, sans contrainte, la lenteur des jours, la clarté des matins, la douceur des soirs face à des vagues de début du monde…

        Avec 450 kilomètres de plages délicatement ombragées par filaos, cocotiers et palmiers, le pays se présente, d’abord, comme une exceptionnelle destination. Ne dit-on pas que la Casamance possède les plus belles plages d’Afrique ?…

        Sous le sable, la découverte. A Touba, la mosquée se hérisse du plus haut minaret de toute l’Afrique de l’Ouest. A Enampor et Séléki, il existe des cases inconnues ailleurs. A Mbour, les pêcheurs réinventent tous les jours Tibériade…

        Sous le soleil, la vérité. Le pays ignore les sentiments coupés sur mesure, la prétention, l’emphase. Il rit de tout, et d’abord de lui-même. Il reste sincère, léger, fragile et volontiers mystérieux sous ses baobabs, entre ses marigots et ses griots. De Sally au Cap Skiring, la mèche de Tintin n’est jamais loin. La magie non plus, qui s’enseigne en cours du soir…

        Au Sénégal, le farniente devient une aventure et la carte postale un genre philosophique. C’est que la « plus proche des destinations lointaines » est aussi la reine de tous les envoûtements…
 


        Comme dans la chanson, « il y a le ciel, le soleil et la mer »…En route pour le Sénégal donc ! Un sac suffit pour les tee-shirts, shorts, pantalons de coton, maillots de bain, lunettes de soleil et crème bronzante. Cinq heures plus tard, nous sommes accueillis à l’aéroport  par notre guide Fatou. Un car nous attend pour nous mener à Sally  notre étape pour la nuit…
    
        Salam alikum, ça va ? Deux mots, un large sourire, une main qui se tend, nous voilà déjà adoptés, charmés et dépaysés. A deux heures au sud de Dakar, protégée des houles de l’Atlantique par la presqu’île du Cap-Vert, la Petite Côte déroule sur 120 kilomètres ses plages de sable fin…
        


        Ici les eaux sont calmes, un soleil permanent, agréablement rafraîchi par les alizés et l’ombre des palmiers, et nous comprenons pourquoi cette fange du littoral est devenue la région star du Sénégal. Notre hôtel « le Framissima » occupe une bonne place sur ce littoral, et sur sa plage de magnifiques pélicans viennent nous rendre visite…
    
        Sally-Portudal, à la fin du 15ième siècle était un port très fréquenté par les marins portugais. Avec ses jardins en terrasses abondamment fleuris, ses filaos arachnéens que taquine la brise, ses pelouses à faire pâlir d’envie les Anglais, elle apparaît comme un petit paradis. D’autant que les années qui passent ont gommé le caractère artificiel de son implantation…
     
        Ce matin, au hasard de notre promenade sur la plage, nous faisons une rencontre avec un Serere (ethnie locale). Celui-ci, habillé à l’européenne, en compagnie de son petit frère, nous propose de nous faire visiter son village. Après quelques minutes de palabres, qui permettent de faire connaissance, nous le suivons jusqu’à l’arbre sacré qui protège l’âme des ancêtres. La coutume consiste à demander la bénédiction des ancêtres pour visiter le village. En réalité c’est une mise en scène pour mieux nous vendre des objets de l’art artisanal regroupés dans une case au fond du village…
    


        Mais on peut avoir envie de voir autre chose ! A deux pas il y a Mbour. Nous partons assister au retour des pêcheurs. La plage est envahie par les villageois et la pêche est vraiment miraculeuse. Bleues, jaunes ou rouges, les pirogues sont hissées sur le sable. Les longs filets débarquent, remplis de carpes rouges, mérous, gambas et langoustes qui se débattent encore. Sur toute la cité flotte l’odeur forte du poisson, frais, séché et fumé venant des nombreuses sécheries installées sur la plage…
     
        Puis on reprend la route côtière. On traverse plusieurs petits villages : Ngazobil où à été implantée une des premières mission catholique ; Joal le village natal de Léopold Sédar Senghor et Fadiouth, célèbre pour ses greniers sur pilotis à toits coniques et pour ses buttes de coquillages. Nous traversons la région du Sine Saloum jusqu’au poste frontière de la Gambie. La savane nous offre des images de la vie quotidienne. Le delta du Sine Saloum (parc national) est l’un des plus beaux sites du Sénégal. D’une superficie d’environ 180 000 hectares, c’est une zone constituée de mangroves, de lagunes, de forêts et de cordons sableux…
 


        Sur la piste qui mène au bac il y a déjà une longue file de camions qui attendent leur passage. Avec quelques « bics », briquets et miniatures de parfum, notre guide négocie notre passage en priorité, nous devons déjeuner à Banjul la capitale de la Gambie. C’est une opération compliquée, car la douane est tatillonne et adore les papiers, qu’ils soient à remplir ou à fournir…

           Un accueil plutôt dissuasif. Dommage, car Banjul, malgré les problèmes d’insécurité qui la caractérise, est une capitale séduisante avec ses vieilles maisons coloniales, ses quantités de tissus bon marché, son mélange de rigueur very british et de pagaille organisée très couleur locale. Après le déjeuner nous reprenons la route pour l’ancien comptoir portugais de Ziguinchor, notre étape pour deux jours…
 


        Elle est aujourd’hui la capitale de la Casamance et un port fluvial actif au bord du fleuve Casamance. Très verte, elle ressemble à une cité jardin avec ses nombreuses maisons basses et ses allées de sable. On visite le marché St Maur des fossés très actif et surtout le Centre artisanal, rassemblant deux cents artisans dont la qualité et le prix des productions sont contrôlés…
      
        Nous prenons la route pour nous rendre à Oussouye, siège d’une chefferie religieuse Diola. Le village possède de bons artisans vanniers et potiers. Ces derniers travaillent avec une rare dextérité, une argile de leur composition (vase des marigots mêlée à des coquillages broyés). A notre arrivée, le village est désert, seuls les enfants sont présents et s’occupent de la collecte de l’eau…
     


        Puis d’une piste dans la forêt, et longeant des rizières, on atteint le beau village d’Enampor, dont les cases sont construites avec des impluviums. En fait ces cratères pratiqués dans les toits ne servent pas à recueillir la pluie mais à ménager un peu d’air et de lumière. Construites en terre banco, et coiffées de chaume, les cases Diola, mélange à la fois d’habitat collectif et individuel, sont divisées en « appartements » tous dotés de leur entrée et de leur cuisine personnelles…
    
        On revient sur la route peu avant Oussouye, une piste sur la gauche s’enfonce dans les bois et mène à Siganar, village des Floup qui s’est rendu célèbre grâce à sa reine, Sébeth, malheureusement décédée en 1976. Nous faisons de nouvelles connaissances avec les villageois. Sur la place principale quelques Floup nous gratifie d’un accueil traditionnel au son du tambour de brousse qui résonne en cadence avec notre cœur de Toubab…
     


        Nous empruntons maintenant la piste d’Elinkine via Loudia-Oualof. Au nord de ce dernier village, Mlomp possède un campement villageois et de pittoresques cases à étages. De vastes maisons en terre et paille mêlées, avec une armature en bois de palétuvier. On ne les voit qu’ici. Les cases à étages ont sous leur toit de chaume des allures de palais. Elles constituent vraiment une merveilleuse découverte…
     
        Nous revenons sur nos pas en prenant l’ancienne route de Cap Skiring. Le Parc National de Basse Casamance a été aménagé, non loin de la frontière de la Guinée-Bissau, dans un paysage de forêts et de mangrove. Sur le bords du fleuve Casamance nous empruntons une longue pirogue Diola pour aller à la découverte des oiseaux aquatiques…
      


        Nous glissons à la rame sur le fleuve tranquille. La pirogue, lourdement chargée, s’enfonce. Les plats-bords sont seulement à 10 cm du niveau de l’eau. Chaque fois que nous apercevons un calao à casque jaune, un aigle couronné, un touracos ou un vol de pélicans, les mouvements brusques des chasseurs d’images déséquilibrent l’embarcation qui frôle le naufrage. Nous ne sommes pas trop rassurés…
    
        De retour à Ziguinchor, après le dîner, dans la fraîcheur du soir, les Diola ont revêtu les masques ancestraux. Ils nous présentent des danses issues de leurs traditions. A leur contact, le voile se lève un peu sur les secrets les plus troublants de l’Afrique…
     


        C’est qu’ils demeurent très attachés à leurs coutumes animistes, même si une petite partie d’entre eux subit l’influence de l’Islam. A l’orée du bois sacré, ils permettent parfois aux profanes d’assister à leurs fêtes, danses et cérémonies ancestrales, fréquentes en amont du fleuve Casamance. Malgré les visiteurs, en nombre toujours croissant, elles gardent une parfaite authenticité. C’est un des grands attraits de la région…
    
        Aujourd’hui, nous reprenons la belle route goudronnée d’Oussouye pour nous rendre plus au sud à Cap Skiring. Dans la fraîcheur du matin les Diola œuvrent à leurs occupations : ramassage du bois mort, cueillette des fruits. Tenu par une simple liane, un paysan, au sommet d’un palmier dattier, avec l’aide de pollen mal, féconde les fleurs…
    


        Ombragée de cocotiers et de palmiers, la plage de Cap Skiring s’incurve doucement face à l’océan bleu et poissonneux. Cinq kilomètres de sable fin, une eau à température idéale, et toujours un hamac à portée de corps. Beaucoup la considèrent comme la plus belle de toutes les plages du pays. La mer, chaude et sans rouleaux, nous permet une petite baignade sans danger. Un babouin attaché à un tronc de palmier nous regarde passer, dubitatif…
      
        A l’origine, le village était peuplé de pêcheurs, ils sont toujours là, avec leurs pirogues étroites, leurs filets, leurs gris-gris et leur bonne humeur. Sur le marché local, improvisé sur le bout de la plage, les femmes en boubou vendent poissons et tissus dans un ambiance très colorée…
     


        Il est temps de quitter la Casamance pour rejoindre la station balnéaire de Sally Portudal. Cette fois-ci nous remontons par la piste du Nord : Kolda, Nioro et Kaolack. Le long de cette longue traversée nous croisons sans cesse des troupeaux conduits par des Peul, l’ethnie nomade du Sine Saloum et quelques villages Bassari…
        
        Il fait nuit quand nous arrivons à Sally. Vite, une douche pour nous débarrasser de la poussière de la piste. Puis nous nous retrouvons au bar, avec Jacky et Simone, un couple sympathique habitant Bagard (Gard), pour siroter un Pina Colada. Un sénégalais nous aborde pour nous proposer de déguster des langoustes grillées chez lui. Nous décidons d’abandonner le restaurant de l’hôtel pour ce repas improvisé chez l’habitant…
  


        Notre hôte vient nous chercher. Nous entraînons avec nous deux autres couples de l’Hérault, et tout ce petit monde se dirige joyeusement vers le village de pêcheurs. Dans une cabane en roseaux, éclairée par une torche au néon,  toute la famille nous attend. La table en bois brute est dressée avec des assiettes, des verres et des couverts disparates, probablement récupérés dans les hôtels voisins. Dans un coin, un brasero sous la surveillance de la maîtresse de maison est prêt à faire son office. Les langoustes, quant à elles,  se débattent dans un seau en plastique…
    
        Le repas commence avec des poissons cuits en papillotes, des pommes de terre et une sauce que seuls les africains savent préparer. Suivent les langoustes grillées, un vrai délice, quelques gâteaux de semoule enrobés de miel et, le tout arrosé d’un vin rouge peut-être millésimé. Pendant la cérémonie du thé à la menthe qui clôture le festin, quelques uns d’entre nous, encouragés par l’ambiance conviviale, poussent une petite chanson qui fait rire aux éclats tous les curieux entourant la case. Une vraie rencontre, un moment de partage sans préjugés raciaux. Sauf qu’une fois debout, nous nous apercevons que les enfants mangent nos restes. Sur le chemin du retour, on a beau se dire que c’est çà l’Afrique pour se donner bonne conscience, nous pensons que nous sommes tout de même des privilégiés…
    


        Très tôt le matin, pour profiter au maximum de la fraîcheur, nous remontons vers Dakar en empruntant la route de l’intérieur. Pendant plus de 120 kilomètres nous traversons une magnifique forêt de baobabs. Leurs troncs peuvent atteindre 20 mètres de circonférence. Malgré la déforestation, ces géants sont encore nombreux dans le pays, avec une forte implantation dans la régions de Thiès. Il ne se contente pas d’être l’arbre le plus spectaculaire et le plus symbolique du Sénégal. Il joue un rôle important dans la vie de tous les jours. Avec l’écorce les sénégalais fabriquent des cordes. Emblème du pays, avec le lion, il revêt un caractère sacré, notamment sur la Petite Côte…
         
        Au premier coup d’œil, la capitale sénégalaise déroute un peu, irrite même. C’est qu’elle est à la fois bruyante, nonchalante et brouillonne. Mais il suffit de l’aborder à pied, en flânant, pour qu’opère la séduction. Venus de l’océan, les vents chargés de douceur s’insinuent dans les moindres ruelles, rendant la chaleur toujours supportable. Cotonnades multicolores, port de tête haut et fier, bavardage ininterrompu : la foule est belle et joyeuse. Rires à fleurs des lèvres masculines, coiffures sophistiquées des femmes, apostrophes en Wolof des marchands à la sauvette : la rue est un chaud tourbillon, une kermesse qui naît dès 7 heures du matin…
      


        Gratte-ciel de verre et d’acier, immeubles aux formes triangulaires hardies, et l’odeur forte des épices qui s’échappe des marchés, et les cases en banco : la capitale affiche un goût prononcé pour l’architecture contemporaine. Elle conserve aussi ses vieilles habitudes, à peine remises au goût du jour. Sous les arcades de la place de l’indépendance, le cadre à cravate et le marabout à gris-gris font excellent ménage. De la Présidence aussi, dont la blancheur illumine l’avenue Roume ; de la fenêtre de son bureau, le président Abdou Diouf jouit d’une vue magnifique sur Gorée…
     
        Le lendemain on se doit d’embarquer pour Gorée. Sur la chaloupe nous ne sommes pas seuls, Mme de Fontenay sans ses « Miss France » est là aussi. Après vingt minutes de traversée, la chaloupe pénètre dans l’anse Bouffier et accoste au débarcadère dans la partie basse de l’île…
     


        En descendant, on parcourt le môle qui ferme la plage où plusieurs terrasses de café sont installées. Au pied des maisons jaunes, roses et rouges, le buste de Blaise Diagne, rappelle le souvenir du premier député du Sénégal qui est né à Gorée. En allant vers le nord, par le quai de la Rade, on atteint la place des Canons ou s’élève le Fort d’Estrée, appelé aussi « batterie nord » car ces canons sont installés sur la pointe septentrionale de l’île…
      
        On arrive sur la place du gouvernement pour découvrir l’ancienne Mairie (1872), le Relais de l’Espadon. Au coin de la place et de la rue du Castel : l’ancienne école William Ponty, et au coin de la rue du Port, le Poste de Police, plus vieux bâtiment de Gorée, et qui fut tour à tour une église, un entrepôt, une forge, une boulangerie, une prison, une poissonnerie et un dispensaire…
             

        
        Mais Gorée c’est aussi la porte infernale qui s’ouvrait sur l’Amérique. Celle qu’empruntèrent, pendant trois siècles, des millions d’hommes embarqués de force pour les Antilles et le sud des Etats-Unis. L’esclavage apporta la richesse, son abolition la pauvreté. Aujourd’hui, on imagine mal que cette île aux accents presque méditerranéens, au charme envoûtant, fut le théâtre d’un des principaux drames de l’humanité. La Maison des esclaves est une visite indispensable, même si elle nous arrache des larmes en écoutant avec émotion Joseph N’Diaye, son conservateur raconter l’histoire de ses ancêtres…
    
        Quand Fatou vient nous récupérer à l’hôtel pour nous accompagner à l’aéroport, nous savons que l’aventure se termine. Dans ce tourbillon de rencontre et de sable il ne reste que l’éclat de rire du Sénégal. Car les sénégalais sont volontiers moqueurs. Chaque ethnie prend un malin plaisir à monter en épingle les insuffisances de sa voisine. Et les visiteurs ont vite droit à un surnom bien trouvé, accompagné de nombreux éclats de rire, voire d’une imitation de leurs travers plus vraie que nature. Rien de méchant dans tout cela…

        Au contraire, les sénégalais témoignent généralement d’une grande gentillesse. Ce sont simplement des observateurs nés, qui détectent instantanément les faiblesses et les ridicules de chacun. Des humoristes dans l’âme, qui refusent de se priver d’un bon mot, qui saisissent, avec finesse, toutes les occasions de sourire…

        Le poète Président, Léopold Sédar Senghor, détestait l’affiche publicitaire de « Banania », représentant un tirailleur sénégalais hilare. Pourtant, le rire est une des composantes les plus attachantes de l’âme du pays. Mangui dem…
 
 
 
Andrée et Armand