En Maçonnerie, le rituel exige que l’art oratoire soit précédé d’un moment de silence. Car ce silence qui est une espèce de concentration, de souffle, va permettre au rythme respiratoire de porter des mots qui vont devenir paroles.
Le silence est donc une vertu essentielle, car n’est-ce pas de l’usage inconsidéré d’une parole trop spontanée et par conséquent éminemment superficielle, que naisse toutes les dissensions, que se cristallisent toutes les divergences, que se répandent toutes les calomnies ? On peut dire de la Maçonnerie comme de toute la vie sociale, comme du perfectionnement même de l’humanité, ce que Hyacinthe Loyson disait de la Démocratie, à savoir « qu’elle naît par l’idée et meurt par les mots, dès qu’ils sont vides ».
(Hyacinthe Loyson : Père prédicateur, prophète et théologien né en 1827, et surtout connu pour sa déclaration fracassante en 1870 contre le « prétendu dogme de l’infaillibilité du pape ». il fait parti des figures les plus intéressantes de l’opposition à l’absolutisme du Vatican.)
C’est pourquoi le Maître doit savoir parler peu et réfléchir beaucoup ; nul ne se libère du devoir de tout peser, mesurer, comparer, en faisant de sa parole un torrent intarissable, tonitruant et impétueux.
Nous n’avons pas en Maçonnerie, à nous convaincre, mais simplement à nous comprendre. C’est dans ce but que l’Initiation apprend à l’Apprenti à regarder, au Compagnon à discerner et au Maître à coordonner. Cette activité coordinatrice est, en soi, la synthèse même de la Maîtrise maçonnique, car elle peut s’exercer avec une égale utilité sur tous les plans, dans tous les domaines par chacun d’entre nous.
Ceux qui dans nos rangs s’adonnent à ces complexes spéculations qui portent l’esprit jusqu’au sommet du concevable, ne sont à cet égard pas plus que le simple Maçon qui se révèle, par nature et prédispositions, foncièrement fraternel, tolérant, pitoyable, juste et désintéressé. Si les premiers apportent dans le monde profane un élément de perfection intellectuelle propre à élever le niveau spirituel des élites, tout en favorisant leur développement et leur sélection, les seconds n’en deviennent pas moins au sein des masses de vivants « centres d’union maçonnique » parce que, par la force seule de leur exemple, ils créent autour d’eux l’harmonie et la pureté.
Nous poursuivons tous un but identique et chaque Maître a son rôle à jouer dans la lente évolution de l’esprit humain qui a, à travers le temps, fait du serf un libre citoyen et nous a menés de l’anthropophage à l’objecteur de conscience.
Un Maître révèle sa Maîtrise en accordant son « mode de pensée » avec les principes fondamentaux de l’Ordre et en faisant de ses actes le fidèle reflet de ses discours.
Son accession symbolique au troisième degré lui a valu cet enseignement : « Rien de peut empêcher la vie de se poursuivre et de se renouveler ». Il ne sera réellement Maître que lorsqu’il en aura sérieusement conclu qu’il faut semer pour récolter, sans souci des temps favorables ou hostiles, sans préjuger jamais de l’heure où la récolte aura mûri, détaché de toutes les contingences humaines, sans espoir de récompense, sans autre soutien que l’approbation d’une conscience pure, empreinte d’une ineffable sérénité.
S’il épouse, de quelque manière et dans quelques circonstances que se soient, les passions grégaires qui divisent les masses profanes en factions antagonistes, en nations ennemies, en confessions rivales, il démontre lui-même combien peu le titre dont il se pare est mérité.
Et que dire lorsqu’il règle son attitude à l’égard de ses Frères ou de ses Sœurs d’après la couleur de leur cordon, l’importance de leur situation sociale ou leur ancienneté dans l’Ordre ; lorsqu’il parle toujours de ses droits et jamais de ses devoirs ; lorsqu’il viole ses serments en calomniant les uns ou en adulant les autres ; lorsqu’il intrigue pour obtenir des honneurs et se gonfle de vanité satisfaite ?
Le Maître ne cherche point la preuve de sa supériorité dans l’expression visible de l’infériorité intellectuelle ou sociale de ceux qu’il côtoie dans la vie, pas plus qu’il n’éprouve de satisfaction aux marques traditionnelles de respect que peut lui valoir son titre. Il aime d’autant plus ses devoirs qu’il sait ignorer ses droits, il veut asservir la matière et délivrer l’esprit, tuer l’égoïsme et faire vivre l’amour. il ne connaît point de joie plus profonde que lorsque l’étincelle du sublime jaillit dans les yeux attentifs du Néophyte, lorsqu’il voit la graine féconde germer dans les cerveaux, la Lumière soudainement éclairer les cœurs et les esprits. Il vibre d’allégresse au spectacle, précieux entre les plus précieux, de l’homme qui se surmonte, de l’homme qui, le front dressé, marche, tombe, se relève et gravit pas à pas l’abrupt sentier qui conduit au Grand Architecte.
En maçonnerie la parole se sert des mots comme d’une énergie. Elle va à la fois affirmer la personnalité, mais elle va aussi permettre au récepteur du message d’y entendre le non-dit, car la parole est aussi un non-dit comme le silence.
Je citerai pour exemple une phrase d’Edouard Plantagenet « Causeries initiatiques pour le travail en chambre du Milieu » : « Mais tandis que les hommes te lapident, que les ronces te déchirent et que les vestiges de tes passions alourdissent encore ta marche à la lumière, écoute, ô toi fils de la Putréfaction, toi qui veux désapprendre le mensonge, le sang et la boue, toi qui ne veut plus ramper, écoute la voix de Zarathoustra clamer dans l’espace ».
Et quelques citations de l’œuvre de Zarathoustra, d’une actualité éclairée : (Zarathoustra : Réformateur de la religion Iranienne, 8ième 7ième siècle av. J-C.)
« Mes Frères, prenez garde aux heures où votre esprit veut parler en symboles : c’est là qu’est l’origine de votre vertu »,
« Solitaires d’aujourd’hui, vous qui vivez séparés, vous serez un jour un peuple. Vous qui vous êtes choisis vous-mêmes, vous formerez un jour un peuple choisi – et c’est de ce peuple que naîtra le Surhumain »,
« Tous les Dieux sont morts : nous voulons, maintenant, que le Surhumain vive ! Que ceci soit un jour, au grand midi, notre dernière volonté ! ».
Et qu’est-ce le « grand midi » sinon le « midi plein », l’heure rituelle à laquelle les Francs-Maçons reprennent leurs Travaux !
L’heure est venue. Répandus sur les deux hémisphères les Maîtres rassemblent les ouvriers et des quatre coins cardinaux ils accourent, ceux qui n’ont rien oublié de la mission sacrée de l’Ordre, ceux qui ne sauraient résister à l’impérieux appel qui rallie les artisans du Grand architecte de l’Univers.
Dans le mystère de nos Temples des temps nouveaux se préparent, une ère nouvelle commence, une autre humanité surgit… Ecoute, voilà que tinte l’heure des éternelles renaissances… La parole déploie tout son sens, elle touche l’ensemble des Maîtres. Car la Parole c’est le souffle, plus l’énergie vitale personnelle de celui qui émet le message. Elle devient donc une source de communication et non plus seulement d’information. Elle est énergie. Quand elle se hausse au niveau de la communion, quand l’émission et la réception se transposent en fusion totale, il y a alors création d’être entre l’émetteur et les récepteurs.
A ce degré, l’art oratoire rejoint donc la parole divine. Elle crée la fusion. La transposition ou la transmutation est totale. Les interlocuteurs communiquent vraiment. Chacun donne et en même temps reçoit. Nous sommes alors dans le Sacré et dans le Logos originel.
Burinant ma planche dans le soleil couchant, l’ombre a fini par gagner l’ensemble de mon tracé. A cet instant j’ai éprouvé le doute. Et si cette ombre était aussi le spectre d’Ego ! L’ombre du Maître qui vient d’oublier qu’il est un éternel Apprenti ? Alors ne suis-je pas moi aussi entrain de Véhiculer des mots ? Or les mots ne doivent pas êtres mis n’importe comment, les uns à la suite des autres….
Je conclurai donc simplement par ce proverbe chinois : « Il faut se taire quand ce qu’on a à dire n’est pas plus beau que le silence ».
Jakin