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Titre du blog : Les Black's Foot
Auteur : Jakin
Date de création : 03-09-2008
 
posté le 16-09-2008 à 10:00:01

INITIATIONS

 

 

 

 

        En introduction à son ouvrage - Initiation, rites, sociétés secrètes -, Mircea Eliade écrit : « On a souvent affirmé qu’une des caractéristiques du monde moderne est la disparition de l’initiation. D’une importance capitale dans les sociétés traditionnelles, l’initiation est pratiquement inexistante dans la société occidentale de nos jours ».

        De son côté René Guénon affirme dans - les Aperçus sur l’Initiation - : « Il n’y a guère dans le monde occidental, comme organisations initiatiques pouvant revendiquer une filiation traditionnelle authentique, que le Compagnonnage et la Maçonnerie ».

        Ecartelé entre ces deux points de vue dont le premier est issu de ma connaissance comme profane et le second de ma recherche comme Maçon, je mesure l’embarras de tracer cette planche.
 
        Si l’on ne comprend pas le phénomène, l’expérience que l’on observe, ou que l’on vit, si l’on n’ est pas armé pour déchiffrer la signification des apparences, si l’on n’a pas une notion élémentaire au moins des règles de l’évolution et des changements, alors le sens des choses nous apparaît que si l’on est prêt à le recevoir.

        La plupart d’entre nous s’en rend compte, d’une manière il est vrai souvent confuse. Toute expérience ne vaut que dans la mesure où l’observateur, ou celui qui la vit, a été amené à comprendre ses modalités, ses conditions, et ses constantes.

        Tous les individus d’une société tribale, parvenus à un certain âge, sont conduits, par un rituel spécifique de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte. On enseigne au néophyte la création du monde telle qu’elle est perçue ou conçue par le groupe, le culte qu’il doit rendre aux ancêtres, à la terre, aux dieux… Les valeurs morales, le comportement que les autres attendent de lui…

        Les épreuves peuvent être physiques. Elles ont pour but d’éclairer le groupe sur la force de l’individu, sur sa souplesse, sa résistance à la douleur, à la faim ou à la soif, sur ses facultés d’orientation…

        L’initiation présente un caractère de nécessité. Nul ne peut être admis dans le groupe, participer à la vie de tous les jours, sans avoir vécu l’initiation. Les rites de passage sont obligatoires pour quitter le monde insouciant de la jeunesse, pour permettre l’accession au sacré, aux traditions, à la vie collective. C’est en cela que, pour les membres du groupe, les rites initiatiques sont un gage de survie de la société.

        Il est fort probable que les constructeurs des premiers temps procédaient à des initiations afin de transmettre des secrets de calcul, de géométrie, de construction, à des hommes choisis, jugés dignes de recevoir cet enseignement. L’ésotérisme des bâtisseurs repose sur une sacralisation, une déification du travail, et impose le respect des lois et des secrets afin de protéger le Métier. Les textes qui nous sont parvenus ont permis de comprendre la démarche et la mentalité des constructeurs. Ils présentent tout un système symbolique basé sur la matière, les outils, les formes géométriques, la magie des nombres, les tracés, l’orientation, la probité, la fraternité, le secret, le serment…

        Dans le langage courant, est initié celui qui sait, ou qui possède une connaissance. Selon la terminologie maçonnique, l’initiation n’est pas une illumination délivrée par on ne sait quel miracle. Pour le Maçon, elle est le premier pas d’une longue marche. Elle n’est pas la délivrance d’un savoir total, comme certains ont tendance à le croire, mais le début d’une quête qui ne s’arrêtera pas. Les « progrès » ne sont pas l’accession aux grades supérieurs ou aux honneurs, mais bel et bien l’amélioration, l’enrichissement jour après jour de la personnalité.

        L’Apprenti va tailler sa pierre, le Compagnon va la rendre cubique, le Maître va apprendre à tracer des plans. Le progrès de chacun n’est pas le résultat de la cérémonie d’un soir, mais le fruit d’un long travail sur soi. Le travail du Maçon dure toute la vie, jusqu’à l’ultime initiation que le profane appelle la mort.

        Alors comment trouver un sens dans l’initiation maçonnique ? Comment cette réalité, cette authenticité que j’ai reçue par transmission, puisse me conduire sur le chemin de ma nouvelle vie comme le précise le rituel : « Je viens apprendre à vaincre mes passions, à surmonter mes préjugés et à soumettre mes volontés aux lois de la justice ».

        Tout simplement comme un acteur qui rejoue sans cesse la scène de l’initiation. Un acteur qui cette fois-ci produit une création de l’intérieur qu’il projète sur un miroir pour se corriger à la vue de tous. Car l’initiation, c’est la préparation, c’est l’introduction, la mise en condition indispensable à toute entreprise, l’apprentissage des conditions d’exercice d’une activité, d’une profession, d’une carrière. En somme, l’initiation c’est ce qui précède l’expérience, qui y prépare et qui y conduit.

        Etre initié, ce n’est certainement pas avoir l’expérience ou la connaissance de toute chose, mais c’est être prêt à l’expérience vraie. Voilà ici posée dans l’initiation la construction que le Maçon opère sur sa personnalité : Etre prêt à l’expérience vraie !

        Chacun d’entre nous, les yeux bandés, ni nu, ni vêtu, a franchi la porte basse pour pénétrer dans un monde nouveau, pour renaître dans un nouvel ordre social, pour découvrir les relations entre l’homme et le milieu. Chacun d’entre nous a aussi été averti des difficulté de l’épreuve. Pourtant chacun d’entre nous a fait le premier pas sous la bienveillance du Grand Expert. Nous étions prêt à l’expérience vraie !

        Arnold Van Gennep trouverait ici l’illustration parfaite d’un rite de passage. Comme il pourrait s’approprier les légendes de fondation qui traversent notre rituel et en déterminer des interdits. Les ethnologues s’interrogent toujours sur les modalités de l’initiation. ils répondent que le principe en est toujours le même, que la réflexion demeure au niveau de l’anecdote, que les étapes, les intentions avouées peuvent différer selon le milieu et les modes de vie. Les maléfices du Vaudou, la valeur de l’ascèse indienne, la cruauté des pratiques amazoniennes, l’ésotérisme obscur de Chine ou du Tibet nous surprennent, mais sont les aspects diversifiés d’une constance. Comme il est probable que le corpus initiatique de la Grèce Antique, celui des bas quartiers de Rome, comme celui de la Judée différaient, même s’ils étaient tous inspirés des rites Egyptiens.

        Là s’arrête l’observation de l’usage. Dépouillé de tous ces métaux, le futur maçon entreprend son voyage initiatique sans l’usage de la vue. Il ne peut faire confiance qu’à la perception des sons et à la main fraternelle qui le dirige. Son attitude dépend de sa préparation intellectuelle, de son ressenti, de son imagination et de sa capacité à se maîtriser. Il commence à mettre en pratique l’expérience vraie.

        Mais chacun accomplit son rite de séparation, de purification, d’agrégation ou de rejet face à lui-même. C’est cette action, toute personnelle, qui démarre la quintessence de notre parcours de constructeur et qui nous guidera dans l’expérience vraie. En témoignent les comptes rendus faits par les Apprentis après leur initiation.

        Lors de mon initiation, j’avais compris que tout était symbole. Que je devais travailler dans le Temple avec tous les outils qui m’étaient donné à imaginer pendant mon parcours aveugle, et avec tous les outils qui m’étaient possibles de découvrir quand le VM m’a donné la lumière. Pourtant un mois après avoir fait quelques pas sur le chemin de l’expérience vraie, je prends la parole pour me plaindre. Mes lunettes de profane étaient restées à la porte du Temple et je voulais avec prétention observer mon nouvel Univers.

        Sur le chemin de l’expérience vraie, il me suffisait de prendre le temps, tout mon temps, pour tailler ma pierre brute. Alors, point de lunettes pour observer mes SS et mes FF sur les colonnes me renvoyer l’amour, la quiétude et la ferveur comme une multitude de miroirs pointe la lumière. Point de lunettes pour examiner l’intérieur de mon corps, seulement être à l’écoute de mon être ou de mon mal-être.

        Quand le jeune homme de la tribu est initié à la chasse ou à la pêche, à la vie religieuse ou politique de sa communauté, sans doute lui dévoile-t-on un certain nombre de connaissances, de secrets, mais est-ce tout ? Ne lui attribue-t-on pas aussi le privilège d’être à son tour le découvreur, l’homme qui assume la responsabilité des rapports entre la communauté et le Cosmos, l’homme qui apportera une chance nouvelle à la communauté ?

        Cette question a attiré mon attention sur mon propre comportement pendant mon initiation. Ai-je pris conscience pendant mon parcours que l’appareil rituel ne faisait que me styliser. Pas vraiment ? Certes j’étais préparé, je me disais enfin tu vas vivre une expérience riche que tout ethnologue rêve de vivre de l’intérieur : un rituel de passage. Mon imagination vagabondait plutôt avec l’adoubement des chevaliers de la Table Ronde. Je me suis donc laissé simplement porter par la main ferme qui me dirigeait et pêcher par omission de symbole. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris toute la signification de mon initiation : par la mise en pratique de l’expérience vraie.

        Une initiation, c’est un peu, comme des « Essais » ou ces « contributions », ou encore des « introductions à l’Etude de » qui servent de titre à des ouvrages considérables, et, sinon définitifs, du moins exhaustifs.

    Au fond, c’est une sorte de quintessence de leur expérience, de leur sagesse, de leur savoir que les Maçons se communiquent, des uns aux autres, à travers les générations.

        A l’évidence, toutes société initie ses membres à ses conceptions de la vie, et l’initiation symbolise et figure cette démarche universelle. Et quand on y réfléchit, du point de vue de la communauté, vivre c’est revivre la création du monde.

        L’homme qui agit vraiment, entre, par son acte, dans un univers nouveau, il crée une vie nouvelle, et, par expérience, il se rend compte de la crise, ouverte par cette nouveauté, du bouleversement opéré par cette liberté qui tout à coup s’affirme. Il apprend les précautions nécessaires, et hélas, pas toujours suffisantes. Il éprouve d’abord ses forces, il cherche à acquérir le contrôle de ses aptitudes, il accumule et rassemble les connaissances, organise le savoir, exerce son discernement, et, finalement manifeste son courage et sa maîtrise.

        L’initié, c’est celui qui a la conviction que cette création, qui est pour le Franc-Maçon une construction, est le mystère qui enveloppe l’homme et le cosmos dans l’émouvante épreuve du présent.

        Epreuve quotidienne, épreuve toujours décevante, et cependant source de toute joie et de toute lumière. Les hommes sont émerveillés, et terrifiés à la fois d’être sur la terre, d’être ce qu’ils sont dans le monde tel qu’il est. Ils se disent qu’ils ne peuvent être qu’en vertu de quelque chose qui les dépasse, de circonstances qu’ils ignorent, mais en même tant, ils sentent que ce monde est le leur, qu’ils y ont leur place, et qu’il dépend d’eux qu’il en soit toujours ainsi.

        Que l’on croit en Dieu ou au Grand Architecte de l’Univers, quelle importance ? L’initiation livre à celui qui la reçoit, la clé de cet univers, elle lui indique le passage, elle lui assure la protection nécessaire lui inspirant confiance dans l’immense royaume étoilé qui élève sa voûte au-dessus de lui. Elle le prépare aux pratiques, lui inspire le courage et la volonté, lui ouvre l’accès aux joies supérieures du sacrifice et de la charité.

        Symboliquement, c’est un peu comme si l’on accordait à l’initié la saisine de cette terre, qui le nourrit et qui le porte, la maîtrise du feu qui le protège et lui donne puissance, de l’eau qui anime et vivifie, de l’air qui soulève et qui purifie. Bref, c’est comme si l’on révélait à l’homme ce qui donne au monde sa durée, et dont il est l’héritier, exploitant par la chasse, la pêche, l’art manuel, le domaine qui lui est ainsi ouvert.

        Il faut bien rappeler et c’est peut-être le dernier mot sur la question, que l’initiation est un métier que le franc-maçon exerce toute sa vie par la construction de son état intérieur.

        Ce qui compte c’est que l’homme fasse son métier d’homme, assume ses responsabilités dans ce monde, et qu’il sache à la fois ses limites et les conditions de son action.

        En définitif, le mot le plus simple est celui qui sans doute convient le mieux : l’initié, c’est un homme éveillé. Etre éveillé : avoir le sens du relatif, avoir le sens de la mesure, savoir les limites de son pouvoir, et connaître les zones d’obscurité et de lumière qui se partagent l’existence.

        Etre dans l’expérience vraie c’est  vivre, en somme, comme un homme éveillé.

 
Jakin