A Chypre, sa terre natale, Aphrodite est partout : sur les enseignes des boutiques, des restaurants, des magasins de souvenirs et jusque sur les étiquettes des vins locaux. La légende veut que la déesse ait jailli de l’écume au pied du rocher Petra Tou Romiou, près de Paphos. Depuis, les amoureux viennent sur ce rivage, près du caillou tout blanc, et attendent qu’il rosisse au soleil couchant. Se baigner là est aussi une garantie de bonheur pour toute l’année…
Mais ce n’est pas que le lieu de naissance de la légendaire déesse grecque de l’amour et de la beauté. C’est aussi la troisième île de la Méditerranée et un carrefour de nombreuses civilisations. Tout Chypre n’est qu’un immense musée en plein air, un héritage historique et artistique du passé. Ici, le drame ancien de l’histoire de la civilisation européenne fut mis en scène dans ses grands moments de variations…
Les rivages dorés, les sommets violets de ses collines et les plaines fleuries de cette île enchantée furent témoins de l’épanouissement et du passage des cultures, de l’essor et de la chute des empires. Le passé est présent partout. Côte à côte, les vestiges et monuments de toutes les époques, allant des jours brumeux préhistoriques de l’âge de Pierre à nos temps, allient en un contraste harmonieux le cours de l’histoire de l’île…
Des colonisations primitives néolithiques touchent à la beauté classique des temples grecs, des théâtres païens romains avoisinent des cloîtres chrétiens primitifs ; des églises byzantines ornées d’icônes et de fresques sont adjacentes à des abbayes et châteaux francs ; des cathédrales gothiques rappelant la gloire des croisades sont entourées de murs et forteresses vénitiens…
L’histoire et la légende, des paysages enchanteurs et un soleil continuel, donnent la main à l’hospitalité de son peuple pour offrir d’heureuses vacances à tout visiteur à n’importe quel moment de l’année…
Sadam Hussein a envahi le Kuweit, l’Amérique et l’Europe s’apprêtent à repousser l’envahisseur Irakien, et les Globe-trotters bouclent leurs valises, contre l’avis général de toute la famille, direction l’aéroport de Marseille Provence, pour retrouver sur l’île les amours d’Aphrodite ou tout simplement l’amour de son prochain. Paradoxe de ces temps belliqueux c’est peut être des « skudes» que nous allons voir passer au dessus de nos têtes…
Quelques heures plus tard l’avion se pose sur le tarmac de Larnaka. Rosella notre guide nous souhaite la bienvenue et organise notre transfert à l’hôtel « Four Lanterns**** », notre résidence pour la semaine. Pendant cette période trouble, nous bénéficions d’un avantage non négligeable, il n’y a pas de touristes, et c’est en « belle américaine », une Buick familiale, que nous visitons l’île comme des VIP, avec un chauffeur qui vous ouvre les portes à chaque arrêt…
Dès qu’on arrive à Larnaka, on comprend comment, née de l’écume, la déesse de l’amour, de la beauté et du printemps a pu poser le pied ici, au sortir de la Méditerranée, aussi limpide aujourd’hui qu’elle l’était alors. Ces huit kilomètres de plage de sable blanc qui s’étendent jusqu’à Dhékélia, rappellent que la ville fut construite sur les ruines de l’antique Kition…
Le charme provincial des vieux quartiers est resté intact et le passé est ici partout présent. Les maisons seigneuriales, les ruelles étroites et animées, la promenade du front de mer avec ses édifices de l’époque coloniale anglaise évoquent les temps où la ville était le siège des consulats et des sociétés internationales. Le Musée archéologique s’élève place Kologréon ; on visite à l’intérieur de deux salles, des objets allant du néolithique au Moyen âge…
L’église de Saint Lazare fut construite au 9ième siècle par l’empereur Léon VI (le Philosophe). En l’an 890 on découvrit à cet endroit un tombeau que l’on attribua à Lazare, qui après sa résurrection par le Christ aurait vécu trente ans à Chypre. Il fut, selon la légende, le premier évêque de la ville. Le sarcophage du saint est conservé au-dessous de l’autel. La dépouille du saint volé à l’époque des Croisades, repose à Marseille. L’église, située dans le vieux quartier commerçant de la ville, a été plusieurs fois agrandie. Sous la domination turque, elle obtint – rare privilège – la permission de construire un campanile. Son iconostase date du 18ième siècle…
Le château fort doit sa forme actuelle aux travaux turcs (1625) qui intégrèrent des éléments vénitiens antérieurs. Par la suite il servit de caserne et de prison. Il abrite aujourd’hui un petit musée consacré à l’histoire des origines de Kition et aux fouilles du Tékké de Hala Sultan…
Des remparts du château fort on peut apercevoir une des nombreuses mosquées de l’époque turque qui s’élève dans la ville. Construite en pierre de taille blanche, le minaret reflète sous le soleil une lumière vive qui se voit dès l’entrée dans la baie de Larnaka…
A cinq kilomètres au sud de Larnaka nous visitons l’un des deux lacs salés de Chypre. Le fond du Grand Lac (6 km²) est situé à trois mètres au-dessous du niveau de la mer. Lorsque l’eau s’est évaporée, au mois d’août, il reste une croûte de sel de 5 à 10 cm d’épaisseur. Celle-ci était déjà ratissée dans l’Antiquité. En hiver, les eaux de pluie sont recueillies par le lac qui devient séjour de prédilection des oiseaux migrateurs et des flamants roses…
Sur la rive du lac salé s’élève une oasis de palmiers, d’eucalyptus et de cyprès ; au milieu des arbres se dresse une mosquée. Le minaret que l’on aperçoit de loin au-dessus du bouquet d’arbres exotiques, est celui du Tékké de Hala Sultan, l’un des lieux saints de l’Islam. Le Tékké abrite le mausolée d’Umm Haram, tante présumée du prophète Mahomet. Le tombeau actuel date de 1760, la mosquée fut pour sa part érigée en 1816…
Ce matin nous partons pour la visite de Nicosie. La capitale se trouve à 48 kilomètres à l’intérieur des terres dans la plaine fertile de la Mésorée. Son éloignement de la mer en fait une ville très chaude en été où la température atteint aisément les 44° C. L’air est toutefois rafraîchi par les cimes du mont Troodos voisin…
Depuis l’invasion de la Turquie en juillet 1974, Nicosie est une ville coupée en deux. La ligne de démarcation la traverse d’ouest en est, du bastion de Rocca au bastion de Flatro, en barre inexorablement le chemin de ronde de la vieille ville, spectacle à cet endroit de barricades, sacs de sable, bidons d’huile rouillés et de maisons abandonnées, qu’il est interdit de photographier (sauf pour les Globe-trotters)…
Malgré cela, la ville est aujourd’hui une ville animée et moderne. Nous arpentons le lacis de venelles de la vieille ville depuis le chemin de ronde des puissantes fortifications vénitiennes qui l’entourent. Nous avons parfois l’impression que le temps s’est arrêté dans ces petites ruelles verdoyantes où boutiques et cafés se côtoient pour le bonheur de tous…
Tout près de la porte de Famagouste se trouve l’imposant archevêché de style byzantin, construit par l’Archevêque Makarios en 1950. Dans l’aile nord de ce palais, nous visitons le Centre Culturel Makarios III. Là, sont exposés des icônes byzantines très rares ainsi que d’autres objets d’art byzantin et peintures d’art classique…
Juste à côté, la Cathédrale St Jean, construite en l’honneur du protecteur de l’Ordre des Templiers et qui fut consacrée au 15ième siècle à St Jean l’Evangéliste. Elle contient de belles fresques du 18ième siècle représentant des scènes de la Bible et d’autres compositions intéressantes : la découverte de la tombe de saint Barnabé fondateur de l’Eglise de Chypre, la découverte de l’évangile sur les reliques du Saint, etc.…
A la sortie nord de la ville, nous visitons la Mosquée Omeyre. A l’origine une église chrétienne du 14ième siècle, elle fut convertie en mosquée par les Turcs en 1571. Il est parfois possible de monter au sommet de son minaret. Nous n’avons pas eu de chance, le gardien faisait la sieste…
Nous retournons à Larnaka en suivant la route qui traverse les villages de Katodrys, Valva et Khirokitia. Le paysage est très beau. A cette époque de l’année les premières pluies donnent à la plaine et aux collines un vert tendre émaillé des couleurs du narcisse d’automne, du muscari bleu, de l’anémone et des renoncules aux corolles jaunes, blanches et rouge écarlate…
En trois jours on fait vite le tour de l’île où l’essentiel des curiosités peuvent être abordées pour se faire une bonne idée de la vie chypriote. D’autant que depuis 1974, la moitié du territoire est occupé par les turcs qui en refusent la visite. Il ne reste donc plus qu’à courtiser Aphrodite, mais il y a beaucoup de prétendants. Alors ce matin nous partons pour le port de Limassol où nous attend le « Princesa Marissa ». Nous décidons de faire une croisière avec deux escales prévues : Haïfa en Israël et Port-Saïd en Egypte…
Après une journée et une nuit de navigation, le navire se rapproche de sa première destination. Quand pointe le petit matin, les côtes israéliennes se dessinent à l’horizon. La brume du large se dissipe lentement comme un rideau que l’on tire et laisse apercevoir Haïfa la plus belle des grandes villes, étagée sur les pentes du Mont Carmel…
Les fonctionnaires de police montent à bord pour effectuer les formalités de visa. Puis nous débarquons avec notre guide pour rejoindre un minicar qui nous attend sur le parking du quai. Nous longeons le littoral jusqu’à Tel-Aviv, puis nous prenons la route de Ramla pour entrer dans Jérusalem, l’une des plus anciennes villes du monde…
On pénètre dans la vieille ville par la Porte de Damas. C’est la rue des souks. Puis nous empruntons la Porte d’Hérode pour monter vers la Via Dolorosa. La Porte Dorée (5ième siècle) était l’entrée principale donnant sur la Place du Temple. Cette porte selon les traditions juive et musulmane est murée pour l’éternité dans l’attente du jugement dernier…
Nous visitons l’Eglise du Saint-Sépulcre qui renferme le Calvaire, le tombeau du Christ et les cinq dernières stations du Chemin de Croix. Il ne reste plus rien du plan harmonieusement ordonné de la basilique de Constantin. Derrière le porche on aperçoit la pierre de l’onction où, selon la tradition catholique, on embauma le corps du Christ. A droite, deux escaliers étroits conduisent au Mont Calvaire. On y voit le trou où l’on avait enfoncé la croix, et la faille qui se serait ouverte dans le roc après la crucifixion…
Le Mur des Lamentations ou Mur occidental est vraisemblablement un reste de l’enceinte du Temple d’Hérode. C’est le site le plus saint du Judaïsme, et jusqu’à nos jours les Juifs y viennent pleurer la destruction du Temple par Titus (70 ap. J.-C.). Les Globe-trotters en profitent pour jeter une petite larme avant de retourner sur le « Princesa Marissa » et reprendre la mer…
Dans notre cabine située sur le pont extérieur, nous passons notre deuxième nuit à bord, bercés par le roulis et le tangage du navire qui force son passage dans une Méditerranée un peu agitée. Quand le petit matin se lève nous sommes en vue des côtes égyptiennes. Les premiers rayons de soleil viennent éclairer Port-Saïd, un port dont le trafic ne s’arrête jamais…
Après les formalités de police à bord, nous débarquons en empruntant un long quai de pilotis en bois. Une nuée de marchands telle des sauterelles nous envahit pour nous vendre montres, papyrus et autres gadgets touristiques. C’est avec difficultés que nous rejoignons le car qui emprunte la route longeant le Canal de Suez. Après quelques heures, nous retrouvons avec plaisir, pour la deuxième fois, les Pyramides et le Sphinx toujours aussi énigmatique…
Le Moyen Orient s’est vidé de ses touristes à cause du conflit entre le Kuweit et l’Irak. Au pied des Pyramides, le désert a repris son territoire, même les skudes le boudent. Alors, dans ce silence réconfortant, nous profitons de cette générosité de l’instant. Tout à loisir, nous passons par le salon du prêt-à-porter pour revêtir la coiffe du bédouin ou du terroriste et nous parcourons les dunes à dos de chameaux jusqu’au coucher du soleil…
En début de soirée, de retour sur le « Princesa Marissa », nous rejoignons notre cabine pour nous préparer à la soirée du Capitaine. Le navire appareille dans la nuit pour Limassol en huit heures de navigation. Le lendemain, nous passons la matinée à nous promener entre mer et ciel sur les ponts du bateau. Sur la passerelle la plus haute, le nez au vent et les yeux scrutant le large, nous rêvons à nos futures aventures…
Le soleil perce à travers les persiennes de notre chambre d’hôtel. Nous faisons la grasse matinée car notre vol est prévu à 13 heures et l’aéroport n’est pas très loin. Soudain, de l’avenue qui longe la mer, la musique d’une fanfare monte jusqu’à nous. Le temps de sauter du lit et d’ouvrir les fenêtres et nous voyons défiler des groupes de majorettes et de scouts dans un alignements parfait. Rien d’étonnant dans cette île où tout commence et finit par des chansons…
Sur le chemin du retour, nous pensons à ces Hospitaliers de Saint-Jean qui n’y sont restés que dix-neuf ans, il y a près de sept siècles, et pourtant leur empreinte subsiste, à côté de celles des Templiers et des rois de la dynastie franque des Lusignan. Mais ces moines, hospitaliers, pèlerins, soldats et bâtisseurs, s’ils ne furent pas les seuls à s’imposer à Chypre, furent à ce point sensibles à la nature de l’île, à son charme, qu’ils s’y firent paysans…
Ce charme a survécu aux conquérants, aux siècles. Pour le visiteur d’aujourd’hui, cette île lointaine, tapie aux confins orientaux de la Méditerranée, ce lieu étrange, envoûtant, réunissant toutes les époques, c’est-à-dire toutes les rencontres, ce vieux pays qui est un Etat neuf est la terre rêvée des quatre saisons. Nous avons été conquis à notre tour par Aphrodite…
Commentaires
Bonsoir et merci pour ton com. sur mon blog.
Je viens de lire goulûment
ton exposé sur Chypre!
J'avais déjà très envie d'aller visiter cette île pour son climat, mais je ne connaissais pas son histoire... Maintenant j'ai hâte de la découvrir... Et là-bas, quelle est la température de la mer en Décembre ou Janvier? Amitiés, durireauxlarmes.