Nommée "le Jugement" dans les habituels jeux de tarots, cette carte indique toujours un renouveau. "Naissance, guérison, où dénouement heureux". Mais il peut aussi s'agir "d'espoirs déçus"...
Le jugement de l'âme a pour conséquence la décision du sort, paradisiaque ou infernal, qui lui est dévolu. Cette idée n'est pas nouvelle et a dû naître sur les bords du Nil. Mais les notions de Jugement dernier et de résurrection des élus dans un monde renouvelé, régi par le ciel, sont proprement chrétiennes. Le 20ième arcane se devait de représenter ce qui est la conclusion méritée d'une vie de labeur et d'efforts.
Dans le domaine propre à la science d'Hermès, l'alchimiste reconnaît dans cet arcane le Jugement de l'œuvre et son aboutissement dans l'obtention de la poudre rouge par laquelle la transmutation pourra être opérée. Transmuter c'est obtenir le changement d'état d'un métal qualifié de lourd, de vil ou de vulgaire, en un métal pur et inaltérable.
Dans le Tarot ancien de Marseille : Une entité angélique sonne de la trompette, c’est l’heure du bilan de la réussite ou de l’échec, les influences sont encore présentes, le rayonnement est uniquement jaune et rouge, à parts égales 10 – 10 (rappel du binaire, de l’épais et du subtil). En bas de la lame, 3 personnages dont deux nettement visibles, un homme et une femme dans une attitude de recueillement, qu’attendent-ils ? (comme pourrait être l’attitude de celui qui attend le résultat de ses travaux, échec ou réussite). Le 3ème est de dos et non identifiable, il se trouve dans une cuve rappelant les moules à lingot. La vérité est dévoilée, l’œuvre est réalisée, il subsiste cependant un sentiment d’attente, la méditation ou la prière appellent à rendre hommage au créateur….humilité toujours.
Dans le Tarot des Alchimistes : L'organisation de cette carte rappelle globalement celle du tarot Visconti, en même temps qu'elle s'inspire en partie de la dernière gravure du Mutus Liber (1677). L'adepte passe la porte de la mort : la dépouille brûlante d'Hercule et sa transfiguration symbolisent la mort de l'homme désuni et la résurrection de son unité recréée.
Il est donc utile de parcourir cette lame du bas vers le haut : Hercule ayant triomphé des épreuves est consumé sur le mont Oeta. "Voici le repos" dit-il. Il retrouve son unité primordiale avant d'être enlevé au ciel, passant ainsi de la quadrature terrestre au cercle divin. Cette sublimation ne peut s'accomplir que si l'être s'est abandonné dans le sépulcre jusqu'au détachement de son ego.
Cette lame évoque fortement la Clef 7 des Douze Clefs de Philosophie de Basile Valentin, ou encore le frontispice du Mutus Liber - dans une certaine mesure - ou bien encore la planche 14 de la Philosophia Reformata de Mylius. Le thème, au demeurant, est l'un des grands classiques : le réveil des morts au son de la trompette. Le Jugement Dernier a été évoqué dans l'Atalanta (XL), lorsque nous avons examiné saint Michel terrassant le dragon.
Faut-il rappeler que le grand portail central de Notre-Dame de Paris est consacré à ce thème ? Et que c'est là où figurent les médaillons des Vices et des Vertus qui forment l'ossature du Mystère des Cathédrales ? Là encore, il nous semble que les commentateurs n'ont pas su correctement interpréter l'arcane : elle ne nous renvoie pas à la mort mais, tout au contraire, elle nous en délivre ! La couleur bleue du personnage que l'on voit de dos signale à notre attention que nous sortons, précisément de cette phase de dissolution radicale ; les deux personnages nous sont bien connus : la scène exprime exactement ce qu'écrit Fulcanelli au tome II des Demeures Philosophales : "il faut unir un vieillard sain et vigoureux avec une jeune et belle vierge".
Le vieillard est le Mercure philosophique dont la destinée va s'achever dès le plein épanouissement du Rebis. La Vierge dont il est question là-dedans n'a rien à voir avec l'un des sujets minéral ou métallique de la Pierre : ce qu'il faut comprendre, c'est que la sortie du tombeau des éléments du Rebis ne peut que coïncider avec l'apparition du Lait de Vierge qui constitue sa nourriture ; aussi n'est-ce pas un hasard si cette opération se déroule dans le signe de la Balance, précédant dans l'ordre des travaux celui de la Vierge.
L'ange rappelle absolument ceux qui ornent le frontispice du Mutus Liber ; il est entouré d'un cercle solaire qui nous dévoile sa fonction, qui est celle d'animer le Mercure ; on peut ainsi considérer que le dormeur du Mutus Liber - ou bien la planche Amor de Van Helpen (cf. l'Escalier des Sages et le Poème du Phénix) - est l'équivalent de l'ensemble : Lazare - Vierge - vieillard. Lazare figure les deux éléments du Rebis et le couple Vierge-Vieillard le Mercure prêt à s'animer. Quant au symbolisme de la croix que tient l'ange, reportez-vous à la lame 6 de l'Amoureux. Cet ange est entouré d'un cercle de nuages dont on peut encore trouver l'équivalent dans les deux rosiers entrelacés de la planche I du Mutus Liber.
Veuillez noter aussi la colline désertique qui s'élève presque à hauteur de la trompette, colline dont Nicolas Flamel parle en décrivant les feuillets du mystérieux ouvrage d'Abraham le Juif. Cette lame représente le point de départ de la renaissance de l'Âme, c'est-à-dire de la formation progressive, très lente, de la teinture des philosophes, qu'ils ont nommé Soufre rouge. Ce processus de maturation peut être déjà noté dans la carte du Pendu, celle de l'Etoile ou encore celle de la Tempérance. Le Jugement a donc la valeur d'un réveil spirituel.
"l'Ange convoque notre Pierre à passer de nouveau par le procédé de l'Oeuvre, à repasser ou être réincarnée par le creuset représenté par le drapeau de sa trompette afin que soient multipliées et fortifiées ses vertus et ses pouvoirs. Il convoque donc notre Pierre à la multiplication, procédé effectué par le moyen de Roues successives".
Les multiplications font partie des secrets les mieux tenus, les mieux gardés du magistère et nous avouons notre incapacité à leur trouver un équivalent rationnel ; il peut s'agir du processus d'accroissement (multiplex) progressif de la Pierre, lorsque la coagulation est entamée ; ce n'est qu'une conjecture de plus. Enfin, on peut estimer que le personnage qui sort de sa tombe - Lazare - est semblable au phénix qui renaît de ses cendres. Quant à sa couleur, elle s'explique par ce commentaire de Dom Pernety : "Au commencement de la dissolution, l’eau dans laquelle se résout cette matière, paraît de couleur bleu céleste, puis violette, ensuite rouge, pourprée, et s’éclaircissant après cela, elle devient couleur d’aurore, et enfin ambrée couleur d’or".
Au laboratoire : Reprenant le travail sur le substrat précédemment obtenu, l'artiste va ensuite augmenter la température, dans l'athanor, jusqu'à 60° puis 80 degrés. La matière passera par des teintes jaunâtres avant de virer au rouge terne tout d'abord, puis un peu plus vif mais assez sombre. On maintiendra cependant l'activité contrôlée du foyer pendant trois fois neuf jours encore...
Tandis que le rouge s'éclaircit légèrement, perdant sa part d'ombre il gagne en intensité, tendant vers l'éclat du rubis. Le corps de la matière progressivement libéré devient plus subtil et renaît comme le phénix : C'est la véritable panacée Universelle et Eternelle, élixir du troisième ordre. Le Sage est couronné...
Architecture et recherche Géométrique : Dans un premier niveau de lecture cette lame se rapporte à la fin des temps, à la résurrection des morts et au "Jugement dernier". Nous sommes bien en rapport avec Saturne, celui qui régit le temps, le juge suprême, en exaltation dans le signe de la Balance, signe du jugement.
Mais sous le mot Le Jugement un autre mot se cache en rapport avec un 2ième niveau de lecture. Ce mot est Lévignement qui vient du verbe "léviger" qui signifie "réduire en une poudre très fine" (du latin levigno, pulvériser). Chez les constructeurs, il désigne le broyage qui sert à faire du mortier.
Le tas de sable ou de poudre, suggéré par le graphisme de l'image, est ainsi expliqué. Il s'agit maintenant de comprendre de quelle poussière, de quelle poudre il s'agit, mais la couleur de "craie" du visage de l'homme barbu déjà nous met sur la voie.
Le mortier est transporté dans des "auges" en forme de cuvette : des auges ou des anges, deux mots en homophonie (le bateleur). Quant au mot mortier, il est issu du latin "mortarium" racine latine "mors", génitif "mortis", "mort", "cadavre", "destruction", "fin". Le mortier est le lieu où l'on tue. C'est le vase creux et dur dans lequel on écrase, on tue, qu'il s'agisse de graines ou de pierres, et cette mort introduit une transformation. Ce qui est broyé dans le mortier va être dissous, puis coagulé et ainsi transformé. Nous somme en plein alchimie. Nous restons bien reliés au symbolisme évoqué par cette lame : les corps morts, issus des minéraux de la Terre, après être retournés en poussière dans le ventre de celle-ci, ressuscitent en corps glorieux (ref. St Paul, la trompette finale, 1 Corinthiens).
Admirons au passage les moyens mnémotechniques placés dans cette lame : Par l'ange, nous avons l'auge. Par les morts qui sortent du tombeau, le mortier et les "morteliers", ceux qui fabriquaient le plâtre, la chaux, le mortier, voir le béton, le marbre artificiel.
Ce qui nous mène à la clef des ingénieurs constructeur : la croix ou "la machine qui élève au ciel" : Dans la littérature grecque chrétienne, la Croix est couramment appelée la méchané ourania, c'est-à-dire "la machine qui élève au ciel".
N'oublions pas que les architectes étaient des ingénieurs. Encore une fois, nous trouvons une machine associée à une leçon d'architecture. L'ensemble des tracés nous suggère une machine élévatrice destinée à soulever non seulement l'auge contenant le mortier vers les hauteurs de l'édifice en construction, mais aussi les lourdes pierres symbolisées par les hommes.
Dans ce cas, la bannière de la trompette, semblant glisser le long de l'axe de l'instrument de musique, symboliserait l'auge montant et descendant vers les hauteurs de l'édifice, guidée par les bras des travailleurs ; le personnage central, se transformant en ange (auge), le panier contenant le mortier, les deux autres personnages se transformant également en anges (auges), les paniers contenant les pierres ; le mortier ayant généralement une couleur qui le distingue des pierres qu'il relie.
Tarot, Alchimie et Franc-Maçonnerie : Nous voyons ici un condensé du symbolisme de l'homme considéré comme une pierre vivante. Dans la lame 6, l'Amoureux, on s'en souvient, nous avions également trois personnages avec un personnage central, tout comme ici. Il signifiait l'amour qui relie les hommes entre eux. Mais au niveau matériel, c'était surtout par la façon de les tailler que les pierres tenaient ensemble, alors qu'ici c'est le ciment proprement dit qui est évoqué. Hiram mort ressuscite en corps incorruptible.
Le conscient et l'inconscient se reconnaissent et s'harmonisent au-delà des contingences, donnant à l'être une sensation nouvelle de globalité.
Cette lame rappelle au SI? que le soi est le centre des tendances à l'intégration et à la guérison qui existent dans l'inconscient. Celles-ci se révèlent au bout de ce long processus. L'élaboration de l'œuvre a demandé beaucoup de temps et d'amour dans un but : réunir les parties du tout comme dans une fusion amoureuse. "Le Grand Oeuvre est l'œuvre de l'amour, car c'est l'Unité désireuse d'être restaurée qui suscite dans l'être l'appel à la transformation. Ainsi l'amour est le feu secret de l'œuvre...
Jakin,
Commentaires
1. fanfan76 le 17-02-2019 à 12:32:54 (site)
Bonjour Jakin, merci, oui les crocus cela indique le renouveau, bon dimanche, fanfan