Pour approcher cette Séphira on ne peut pas faire l'impasse de la tradition qui vient de la nuit des temps. IL faut savoir que toutes les religions ont conservé le souvenir d'un livre primitif écrit en figures par les sages des premiers siècles du monde, et dont les symboles, simplifiés et vulgarisés plus tard, ont fourni à l'Ecriture ses lettres, au verbe ses caractères, à la philosophie occulte ses signes mystérieux et ses pentacles. Je veux parler du livre, attribué à Hénoch, le septième maître du monde après Adam, par les Hébreux, à Hermès Trismégiste par les Egyptiens, à Cadmus, le mystérieux fondateur de la ville sainte de Thèbes par les Grecs. Cette tradition repose tout entière sur le dogme unique de la magie : le visible est pour nous la mesure proportionnelle de l'invisible. Car les anciens avaient observés que l'équilibre est en physique la loi universelle et qu'en Dieu on devait reconnaître deux propriétés nécessaires l'une à l'autre : la stabilité et le mouvement, la nécessité et la liberté, l'ordre rationnel et l'autonomie volitive, la justice et l'amour, ce qui nous ramène à l'arbre de vie ou arbre des Séphiroth et plus particulièrement à son pilier central. Et à propos des séphiroth du pilier central, il faut savoir qu’elles sont présentes dans notre structure psychique : Kéther (la couronne) correspond à l’esprit, Daath à l’âme, Tiphéreth (la beauté) à l’intellect, Yésod (le fondement) au cœur, Malkouth (le royaume) au corps physique. Des objets symboliques sont également attachés à ces séphiroth : à Kéther, la baguette magique ; à Daath, le miroir magique ; à Tiphéreth, la panacée universelle ; à Yésod, l’élixir de la vie immortelle ; à Malkouth, la pierre philosophale. Et ces objets ont un rôle déterminant dans notre parcours de cherchant... Ce n’est donc pas sans raison que les kabbalistes ont posé un voile sur Daath, car cette séphira qui représente le chaos, l’abîme, c'est-à-dire les ténèbres, a quelque chose à voir avec le péché originel, la chute du premier homme. La tentation est venue par Daath ; c’est par cette porte qu’est entré le serpent, Samuël, cet esprit très puissant qui est allé trouver Adam et Eve dans le jardin d’Eden (la séphira Hesed, la miséricorde) pour les persuader de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Nous y reviendrons plus loin... Marc Alain Ouakinin dans Mystères de la kabbale nous dit : "Le Daath n’est pas le savoir positif et statique mais le ressenti, ce que l’on nomme aujourd’hui, l’intelligence émotionnelle, résultant d’une expérience existentielle. La joie ou la tristesse que nous ressentons, par exemple, lors d’une rencontre, d’une lecture ou de tout autre événement". Daath signifie donc "La connaissance". Elle n’est pourtant pas considérée comme une sphère à part entière, mais plutôt comme une non-séphira. Parfois notée en transparence, parfois en pointillés, voir, pas notée du tout, laissant un espace vide dans l’arbre, entre les 7 premières et les 3 dernières sphères. Ce statut la rapproche du fruit de l’arbre de la connaissance dans la Genèse, mais la connaissance dans le sens gnostique du terme. Elle devient un lien, entre Binah (intelligence) et Hochmah (Sagesse), qui forment à eux trois, le Habad (le messie). Leur forme est un Ségol, un triangle équilatéral pointe en bas, symbole d’équilibre. Le lien Daath est aussi le lien entre le masculin et le féminin, entre Adam et Eve, donc nous revoilà au Paradis puisque l’on retrouve une exégèse de la genèse. Il y aurait donc un rapport entre Daath et la chute adamique ? Quand Adam et Eve sont renvoyés de l’Eden, ils tombent dans le "monde terrestre", dans Malkouth. On peut donc imaginer la création en deux temps après le Tsimtsoum (contraction). Le premier qui va du "Fiat Lux" (que la lumière soit) jusqu’au péché originel, puis, le second, du péché originel à aujourd’hui. Au moment du péché, c’est toute une partie de la création de Dieu qui "tombe", c’est le pilier du milieu qui descend d’un niveau (sauf pour Kether) et qui crée le déséquilibre, qui casse l’harmonie pourtant intrinsèque du pilier du milieu. On retrouve cette idée de déséquilibre entre deux grandes représentations de l’arbre, celle du Ari (Rabbi Isaac Louria ) et celle du Gra (Gaon de Vilna ). Dion Fortune , dans La Cabale Mystique nous indique que : "Daath, la mystérieuse, l’invisible Séphira, qui n’est jamais marquée sur l’Arbre, est associée, dans le système occidental, à la base du cou, le point où l’épine dorsale rencontre le crâne, celui où le développement du cerveau eut lieu chez nos premiers ancêtres. Daath est ordinairement considérée comme représentant la conscience d’une autre dimension ou celle d’un autre niveau ou plan ; elle évoque essentiellement l’idée d’un changement de clef". Reprenons donc notre Adam Kadmon ou notre homme de Vitruve, on voit effectivement que Daath se situe au niveau de la gorge, de la glande thyroïde, symbole de l’expression, du verbe divin. Placée sous Kether, dont l’Archange est Metatron (Hénoch), qui était connu pour être la voix de Dieu. Tout ceci commence à prendre du sens. "Les lèvres de la sagesse sont closes, excepté aux oreilles de la Raison" dit le Kybalion . Ce serait donc par l’expression orale que l’on parviendrai à faire "remonter" le pilier du milieu de l’Adam Kadmon ? C’est donc ce verbe divin qui nous donnerait la connaissance ? Revenir à Dieu via Daath, c’est donc exprimer l’amour Divin en Tipheret (la beauté) pour atteindre la lumière en Kether (la couronne). Par la prière, mais aussi par la "Parole Accomplie", car la parole est créatrice, comme nous l’indique Saint-Jean dans le fameux verset1 du Chapitre1 de son évangile : "Au commencement était le verbe". Alors que faire de Daath ? L’ignorer ? L’utiliser ? L’ouvrir ? Et si nous considérions que Daath, n’est pas une sphère, mais un emplacement libre ? Un vide qu’il faut remplir, oui, mais remplir avec quoi ? Nietzsche disait : "Quand tu contemples l’abîme, l’abîme te contemple". Dans des travaux d’Eliphas Levi, celui-ci évoque l’idée qu’il existe un voile masquant la lumière divine. Dans cette vision un peu particulière et différente de la kabbale classique, l’adepte doit relever le voile en franchissant l’abîme (aussi appelée l’abysse). Cette abîme est, pour lui, Daath. En hébreu, Daath s’écrit : Daleth - Ayin -Tav. Daleth signifie "la porte", Ayin, signifie "la perception, l’œil". Et Tav est le Sceau du grand œuvre. Ce qui nous donne la Porte de la Perception pour le Grand Oeuvre. Daath concrétise donc la prise de conscience en terme de sentence et vérifie, dans l'abstrait, les faits. C'est elle qui permet à la conscience d'effectuer le passage d'une forme d'existence à une autre, tout en s'assurant par là même de sa propre continuité. Réussir à ouvrir Daath est donc, pour conclure, une porte que l’on ouvre pour la fermer à tout jamais derrière soi. Dans cette dimension, toute forme d’espace, de temps et de matière disparaît. On ne revient donc pas de l’abîme, c’est pourquoi c’est un défi à la fois effrayant et fascinant pour le magicien. Une cérémonie ou la mort et la vie éternelle flirtent comme de vieux amants...