Depuis la nuit des temps l’Andalousie et sa capitale Séville célèbre les noces de l’art, de l’histoire et des légendes. On ne compte plus ses gloires. Ici, naquirent Hadrien, empereur de l’immortelle Rome, les peintres Vélasquez et Murillo, le mythe de Don Juan. Ici, Cervantès imagina Don Quichotte lors d’un séjour en prison, Bizet composa « Carmen », Mozart « Les Noces de Figaro » et Rossini son fameux « Barbier ». Sous sa cathédrale, la Giralda, reposerait la dépouille de Christophe Colomb qui prépara ici son expédition…
Ouverte et foisonnante l’Andalousie s’accommode de tous les styles. Le gothique y côtoie le baroque et le maure avec brio, l’opéra cohabite avec le chant populaire, et les ferias endiablées succèdent aux processions solennelles. Elle distille un art de vivre tout de raffinement et de douceur. Patrie de conquistadors et de matadors, elle s’offre en spectacle permanent mais sait aussi ménager des oasis de discrétion et de calme…
Dans ses patios privés, dans le parc Maria Luisa, son poumon vert embaumé de jasmin et d’oranger, dans ses jardins arabes, son merveilleux Alcazar, et sur ses places baignées de lumière, comme la plazza de Espaňa qui scintille de toutes ses mosaïques polychromes et de ses azulejos, Séville enchante tous les sens…
C’est au couchant, entre un verre de manzanilla, deux accords de guitare et trois tapas, que l’on ressent le mieux l’humeur sévillane. Au gré des poignées d’olives, du jambon jabugo, vos pas vous conduiront à l’une des nombreuses « tablao de flamenco » où vous profiterez d’un spectacle où les palmas (paumes de mains) claquent, les talons frappent, les jambes s’envolent et les robes virevoltent. Bref, « Qu’est-ce qui fait bouger le cul des Andalouses c’est l’amour… C’est l’amour »…
L’Exposition Universelle a lieu cette année à Séville, c’est l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. Avec Manu et Ginette Marcos, des amis de longue date, nous décidons de partir en camping-car découvrir le Sud de l’Espagne, visiter l’Exposition Universelle et rejoindre par la même occasion des amis espagnols qui habitent Marbella… Sous une chaleur accablante, tout un programme !…
Le 14 août à 19 heures le camping-car quitte le petit village de Simiane, Manu est au volant. A Fos sur Mer nous décidons de prendre notre dîner dans un petit restaurant au bord de mer. Puis c’est à mon tour de conduire. La seconde craque un peu car je n’ai pas l’habitude de manipuler un levier de vitesses fixé au volant. Nous traversons Nîmes, Montpellier, Perpignan, la frontière espagnole et nous atteignons Cadaquès sur la Costa Brava vers minuit. Là nous passons la nuit dans un studio que possèdent nos amis…
Le petit déjeuner est pris au bistrot du coin, puis Manu reprend le volant direction Barcelone, Tarragone, Saragosse et Madrid où nous déjeunons de tapas. Puis je prends le relais (pendant ce temps Manu fait la sieste). Il en sera ainsi pendant tout le séjour, manu conduit le matin jusqu’à 14 heures et moi l’après-midi jusqu’à 20 heures. La nationale qui mène à Tolède est sinueuse et pentue, on ne dépasse pas les 90 Km/h. Mais le plus dur c’est la chaleur, il fait plus de 40°. Nous sommes obligés de conduire les fenêtres fermées, car l’air extérieur est brûlant…
Au sommet d’une éminence granitique, cernée par le Tage qui roule ses eaux verdâtres au fond d’un profond ravin, Tolède se profile comme un décor de théâtre sur le ciel castillan d’un bleu lumineux. La ville citadelle, nous attend pour une belle promenade à travers les siècles. Ceinte de murailles, elle se visite à pieds, avec ses rues étroites bordées de belles maisons, les cours d’où jaillissent les hauts cyprès, les dômes vert sombre des buis, le bonheur multicolore des bougainvillées…
Nous commençons notre visite par la découverte de l’église Santo Tomé pour admirer la plus belle œuvre du Gréco « L’Enterrement du duc d’Orgaz », puis ce sera la ravissante Casa du Gréco, la cathédrale et ses trésors, les ruelles de charme pour aboutir sur la très vivante Plaza Zocodover, avec ses cafés, ses petits restaurants et, pour les gourmands, l’ancienne et délicieuse pâtisserie San Tomé…
Maintes fois détruit, l’Alcázar dresse sa masse énorme et orgueilleuse sur l’un des sommets de la cité. De l’ancienne forteresse du 13ième siècle, dont le Cid avait été le premier gouverneur, Charles Quint décida de faire sa résidence et confia les travaux à Covarrubias de 1538 à 1551. Son continuateur fut Herrera, à qui on doit la sévère façade Sud, aux lignes verticales…
Après quelques courses pour le repas du soir, nous rejoignons notre hôtel roulant, garé sur le belvédère du Parador qui surplombe le Tage, pour admirer au soleil couchant, cette ville d’or (classée entière, au patrimoine de l’humanité) qui s’embrase et resplendit tel le trésor qu’elle est en réalité…
C’est dans les heures calmes et fraîches de ce matin que nous nous lançons sur les traces de Don Quichotte et Sancho Pança, les héros de Cervantès, l’auteur du roman le plus traduit et vendu dans le monde, pour découvrir une région très authentique de la péninsule ibérique. La Mancha commence derrière les remparts de Tolède. Au delà de la boucle du Tage, la route épouse les contours arides de canyons ocres et de promontoires d’où la vue porte à l’infini sur la plaine baignée de lumière, jusqu’aux contreforts de garrigue coiffés de moulins magnifiques…
La route suivie par Don Quichotte file droit vers les premières maisons de Consuegra où onze mastodontes chaulés aux ailes de bois déployées semblent posés en équilibre sur une colline. Il suffit d’un brin d’imagination pour voir Don Quichotte et Sancho Pança lancer une charge dérisoire contre les inoffensifs moulins. A Argamasilla de Alba, une silhouette de fer forgé sculptée sur un mur représente Don Quichotte montant la mule Rossinante, son « fougueux destrier ». Ici, Don Quichotte est comme un ancêtre. Il est ce compatriote décédé qui peuple la région avec sa silhouette métallique ou son corps sculpté dans la pierre, le bois ou le marbre, accompagné la plupart du temps de son écuyer…
Plus tard, en prenant la direction de Cordoue, longeant les villages blancs, les tours de briques crues, les champs bien irrigués, nous comprenons encore mieux ce que l’Andalousie doit aux émirs de jadis. La route rejoint un coude du Guadalquivir. La ville ne se livre pas d’emblée…
Un peu comme sa célèbre mosquée : nous entrons, et c’est la surprise ! On s’attend aux perspectives infinies des cartes postales, mais dans cette jungle somptueuse de 850 colonnes, le regard bute sur une église, en plein milieu, ajoutée au 16ième siècle par Charles Quint qui le regretta lui-même ! N’empêche, nous aimons ce sanctuaire déchu qui, en dépit de tout, indique toujours La Mecque…
Cordoue est un bonheur. Ici chrétiens, juifs et musulmans vécurent dans une très esthétique harmonie, une fusion de cultures dont témoignent les richesses du centre historique. En premier lieu, la Mezquita. Une cour plantée d’orangers, prélude à la surprise réservée par cette mosquée-cathédrale. Cordoue, certes, a des musées intéressants, dont l’un consacré à la tauromachie, mais nous préférons les promenades dans les rues et ruelles, pousser les belles portes forgées des patios et pénétrer dans ces mondes délicieux de fleurs, de palmes et d’eau murmurante…
Et, en fin d’après midi, déguster tapas et jerez accompagnés souvent de musique dans un des nombreux bars du quartier. Ouf ! Un moment de détente. Puis le soir venu dans une calèche découverte nous jouissons de la fraîcheur dans les vieilles rues du centre ville au rythme et au son des pas du cheval…
La matinée est bien avancée quand nous quittons Cordoue pour Séville. La chaleur est de plus en plus suffocante. A tour de rôle, nous visitons la douche au fond du Camping-car. Ce qui nécessitera plusieurs arrêts dans des stations service, et beaucoup de palabre pour approvisionner notre réserve d’eau…
Séville nous apparaît , intimidante au premier abord. Ses avenues verdoyantes, à sens unique, nous font tourner à plaisir et jusqu’à l’agacement autour du délicieux labyrinthe du centre : Séville n’est pas pour rien la ville de Carmen et de Don Juan ! Pour la conquérir il faut d’abord un plan et savoir où l’on se trouve…
Puis on grimpe dans la grosse tour de l’or, en montant les escaliers de la Giralda pour s’offrir la plus belle vue sur la ville. « La Girouette », haute de 98 mètres, est un ancien minaret. Son nom est dû à la statue de la Foie, en bronze, qui la surmonte et tourne au gré des vents. Quand la Giralda fut construite au 12ième siècle, elle se présentait comme ses sœurs marocaines (la Koutoubia à Marrakech, la Tour Hassan à Rabat) et était dominée par quatre boules dorées…
Nous arpentons maintenant la nef sombre de l’immense cathédrale. « Bâtissons une église si grande que ceux qui la verront nous prendrons pour des fous » décida en 1401 le chapitre de la cathédrale quand il fallut abattre la mosquée. De fait, elle est par sa taille la troisième d’Europe, après St Pierre de Rome et St Paul de Londres. D’allure massive à l’extérieur, c’est l’une des dernières cathédrales gothiques et il s’y mêle quelques influences Renaissance…
Le quartier de Santa Cruz, avec ses églises et ses maisons d’une blancheur immaculée, les superbes ferronneries des fenêtres, les pavés luisants des places, les détours imprévus des rues étroites protégées par les murailles de l’Alcazar, est inchangé. On peut toujours rêver dans le patio de los Naranjos adossé à la magnifique cathédrale…
La promenade nous mène à la place du Musée des beaux-Arts. Du haut de son piédestal, le peintre du pays, Murillo, donne le « la » et nous incite à pousser les portes de cet ancien couvent où sont installées les collections. Les patios aux parois d’azulejos, les fleurs, les fontaines, les buis taillés du cloître nous enchantent. Ils préludent au véritable choc esthétique et historique que sera la découverte proche de l’Alcazar, forteresse et maison royale depuis le 10ième siècle…
Ainsi, l’Alcazar est un ensemble de palais arabes retouchés au cours des siècles par les styles gothique, Renaissance, baroque. Il est, de par ses murailles crénelées et dorées, l’écrin éblouissant de jardins exceptionnels où l’automne fait refleurir jacarandas bleus et bougainvilliers mauves. Et c’est alors, dominant les toits, cascadant le long des hautes palmes, une chute multicolore féerique…
Rive droite, le soleil se couche, embrasant les pavillons de l’Exposition Universelle. Mais l’heure resplendissante, c’est la nuit ! Les lumières des bars de la Via Betis se reflètent dans les eaux du fleuve. Séville brille et brûle, les foules se pressent vers les bodegas où l’on trinque jusqu’à l’aube…
Nous consacrons deux jours à la visite de l’Exposition Universelle. En réalité nous passons plus de temps à faire la queue (parfois plus de deux heures), qu’à la découverte des pavillons. La France, le Maroc, le Japon, l’Espagne et le Canada nous accueillent dans de somptueux décors qui nous émerveillent. Les allées munies de bruinificateurs n’arrivent pas à faire descendre la température qui avoisine les 50° C. Nous sommes obligés le soir de rejoindre Torremolinos pour pouvoir dormir au bord de la mer qui est plus frais…
Ce matin nous reprenons la route pour Cadix. Véritable bastion cerné par la mer, sa situation remarquable, sa vaste baie bien abritée ont attiré des peuplements depuis les temps les plus reculés. Fondée par les Phéniciens vers 1 100 av. J.-C., elle fut ensuite romaine et arabe. Nous en faisons le tour sans rencontrer « la belle, aux beaux yeux de velours »…
Puis nous passons à Algésiras pour admirer le célèbre rocher de Gibraltar. Sur place, nous tentons de négocier un aller-retour dans la journée pour le port de Ceuta au Maroc. Cela n’est pas possible. Il faut dormir une nuit à Ceuta. Les mourères n’étant pas d’accord, nous continuons la route pour Marbella et la Costa del Sol…
Ville pionnière de la Costa del Sol, Marbella est située au fond d’une baie abritée par la sierra Blanca. C’est l’une des stations balnéaires les plus fameuses de la côte andalouse, lieu de prédilection de la « jet-set ». Sur son territoire ont été construits, parmi les pinèdes et les jardins fleuris, de luxueux hôtels, des quartiers résidentiels élégants et des terrains de golf, où se retrouvent les célébrités du monde entier…
En chemin nous avertissons de notre arrivée notre ami Juan, patron de plusieurs sociétés. Il vient nous chercher en début de soirée. Le camping-car se présente à l’entrée du caravaning de Marbella en milieu d’après-midi. Le gardien nous indique notre emplacement. Il nous dévisage avec méfiance car nous portons une barbe de quatre jours et nos tenues vestimentaires sont plus que sommaires. Passage obligé à la douche collective, séance de rasage, puis nous sortons de nos valises : pantalon noir, chemise blanche avec nœud « pap. », mocassins noirs et chaussettes de lin, bref la parfaite tenue du VIP pour une sortie chez les « rupins »…
Au environ de dix-neuf heures, une Ferrari décapotable se présente devant l’entrée. Le gardien, les yeux hors des orbites et la bouche en cul de poule, n’ose pas dire un mot. Nous sautons dans le cabriolet rouge en prenant soin de ne pas faire tomber le cheval doré qui se cabre sur l’avant du capot, puis nous prenons la direction du port de plaisance…
Là, nous passons complètement inaperçus, au milieu des Ferrari, porche, jaguar, Rolls Royce, et autres berlines de luxe garées devant ces gigantesques yachts, appartenant à des princes saoudiens où de riches industriels américains. Tout au long du quai, les « m’as-tu-vu » organisent des cocktails où champagne et petits fours coulent à flots pour les quelconques que nous sommes…
Comme des animaux de basse-cour nous picorons, par-ci par-là, sur les étalages mis à notre disposition, puis trouvant le champagne ordinaire (mouette et chardon), nous laissons la foule argentée pour rejoindre l’intérieur de la vieille ville beaucoup plus riche à notre goût…
Elle conserve un joli quartier ancien, réseau de rues étroites, bordées de maisons blanches, qui convergent vers une petite place animée, ombragée par des orangers. Nous sommes invités à la meilleure table de la place. Sous les odeurs enivrantes des fleurs d’orangers, nous dégustons les mets locaux, cuisinés par un chef exceptionnel. Et, comme tout sévillan qui se respecte, nos hôtes nous convient à passer la nuit au cœur du flamenco, dans un établissement très « jet-set »…
On sert des « paluches », on fait des bises, on picole des cocktails aux noms imprononçables, on danse le flamenco et la sévillane, pris en main par de belles andalouses, « Qu’est-ce qui fait bouger le cul des Andalouses C’est l’amour… C’est l’amour… », bref on s’éclate comme des hallucinés jusqu’à six heures du matin. La Ferrari nous dépose devant le caravaning. Le gardien cette fois-ci nous salue avec ostentation. Le conte de fée a pris fin, le carrosse s’est transformé en citrouille…
Nous ne dormons que quelques heures, car le soleil déjà au zénith, transforme le camping-car en « cocote minute ». La chaleur étouffante nous réveille. Et comme il n’y a plus d’eau fraîche aux douches collectives, nous remettons nos habits de gueux pour continuer la route en direction de Grenade…
Au prestige de ses monuments arabes, Grenade ajoute la splendeur d’un ciel lumineux et le charme d’un site verdoyant. Au milieu de sa riche « vega », grande plaine dont l’horizon est barré par les sommets enneigés de la sierra Nevada, la ville est bâtie en partie sur trois collines qui multiplient les points de vue…
En entrant dans Grenade, nous cherchons l’Alhambra et sa colline. Les premières rues sont étrangement plates, et la cathédrale trop espagnole pour une cité maure ! C’est après Via Colon que tout commence : un lacis de sentiers biens chaulés aux patios luxuriants. Nous passons une porte arabe. Nous gravissons la butte de l’Albaycin, au milieu des scènes pittoresques d’un village. Au sommet, sur l’esplanade, des cohortes d’étudiants battent des mains autour d’un fandango improvisé…
Et en face, perchée, sur fond blanc de Sierra Nevada, l’Alhambra nous attire comme un aimant, de derrière ses murailles. On franchit la première enceinte par la porte des Grenades, construite sous Charles Quint, et l’on se trouve dans les bosquets. Edifiés au 14ième siècle, les bâtiments des palais Nasrides se distribuent autour de la cour de Myrtes et de la cour des Lions. Les voûtes à stalactites, les coupoles, les stucs gravés, les cours aux élégantes arcades en font un véritable joyaux où tous les éléments architecturaux ont été conçus pour jouer avec l’eau et la lumière…
Il nous faut du temps pour visiter le palais maure, ses salles en dentelle de stuc, ses enfilades de vasques et de colonnettes ciselées, sur trois niveaux. Nous reprenons notre souffle dans les calmes jardins du Generalife, inchangés ou presque depuis le départ des musulmans…
Il est temps de conclure notre aventure. La chaleur, les heures de conduite, mais surtout les nuits blanches andalouses et castillanes ont fatigué les organismes. Nous remontons lentement vers la frontière par la route de la côte pour avoir moins chaud. Nous traversons Murcie, Alicante, Benidorm, Valence, Peniscola, Tarragone, Barcelone, et nous faisons une halte à Lloret de Mar sur la Costa Brava, pour déguster une ultime pariade, boire une bonne sangria au champagne, et dépenser nos dernières Pesetas…
A une heure avancée de la nuit, le broc de sangria est vide, et plus personne n’est en mesure de reprendre le volant (Boire ou conduire, il faut choisir !). Nous passons donc notre dernière nuit sur le parking du restaurant, avant de reprendre la route pour la France…
Des fastes madrilènes de la Plaza Mayor aux trésors de Tolède et aux moulins de la Mancha, l’Espagne célèbre son plus grand héros, Don Quichotte de la Mancha ! Puis Séville, Cordoue, Grenade, un trio de charme andalou pour nous séduire ! Riches d’un passé grandiose, elles offrent aux visiteurs leurs trésors et un somptueux bouillon de culture. Palais orientaux, patios fleuris, jardins parfumés, bars à tapas et flamenco, fêtes et longues nuits chaudes les rendent craquantes. Elles sont irrésistibles…
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